Arcabas : disparition d’une personnalité de « l’art caché »
Arcabas vient de mourir à l’âge de 92 ans, laissant derrière lui une œuvre accomplie dans le domaine particulier de l’art sacré. Il appartient à la première génération de « l’art caché », hélas suivie de deux autres, puisque cette péripétie de l’histoire de l’art, en France, n’est pas encore achevée. Il laisse derrière lui une œuvre monumentale, inspirée, lumineuse, très pensée et élaborée et cependant simple et proche de ceux qui la regardent. On le reconnaît à l’aura qui entoure les visages de ses personnages.
Il acquiert, à l’école des beaux-arts de Paris, dans les premières années de l’après-guerre, une solide formation le rendant apte à affronter les pratiques monumentales telles que fresque, vitrail, sculpture, tapisserie, mosaïque. Après avoir traversé une période abstraite, il choisit l’image. Il découvre sa vocation pour l’art sacré en 1951. Il décide, sans attendre une commande, de réaliser un programme liturgique complet comprenant fresques, mobilier et objets de culte. Avec l’assentiment du curé et du maire de Saint-Pierre-de-Chartreuse, village isolé dans l’austère massif de la Chartreuse, il entreprend le chantier en l’église Saint-Hugues et en assume le coût et l’exécution trente années durant. Le chantier prendra fin en 1984, date à laquelle il en fait don au conseil général de l'Isère.
Son enjeu quotidien est de pratiquer une mystérieuse alchimie : lier le monde immédiatement perceptible à un autre aussi réel mais plus invisible. Pour cela, il associe les images du quotidien, à la matière qu’il travaille, à la géométrie qui ordonne le chaos, à la vibration lumineuse qui anime les couleurs… une œuvre d’art « symbolique » où incarnation et mondes transcendants se tiennent.
Très vite, au cours des années 50-80, il conquiert une notoriété qui dépasse rapidement les frontières. Les commandes affluent de l’État français, collectivités locales, communautés religieuses mais aussi de l’étranger : Allemagne, Italie, Belgique Mexique, États Unis, Canada, Japon.
Quand, après 1981, s’installe en France un art officiel dur, au choix strictement conceptuel, ce sont principalement les commandes de l’étranger qui assureront la continuité de son œuvre, comme c’est le cas aussi pour d’autres artistes de l’art sacré de cette génération dont la reconnaissance par le public était établie, tels que le maître verrier Henri Guérin, le sculpteur et peintre Philippe Kaeppelin, l’orfèvre Goudgi, le peintre Philippe Lejeune, etc., et aussi de la génération suivante, comme le fresquiste François Pelletier, qui œuvre en ce moment à l’exécution d’une Apocalypse en la collégiale de Saint-Émilion en ayant à se battre contre les oppositions et tracasseries de l’administration culturelle systématiquement hostile à tout art non conceptuel…
Arcabas appartient à ce moment de l’Histoire ou existent des œuvres de grands artistes mais maintenues dans l’invisibilité. Elles ne correspondent pas aux normes contemporaines de l’art aux yeux des grands médias et des médias spécialisés, car le pouvoir ecclésial partage ce point de vue : ces artistes sont vivants mais pas « contemporains » car ils ne pratiquent pas la rupture, l’inversion, la déconstruction, l’interpellation, le dérangement, le questionnement, le trouble et la dérision. Même si l’on a besoin d’eux, ils doivent rester dans l’ombre.
Si ces artistes ne sont pas reconnus par les inspecteurs de la création, ils le sont, en revanche, par des historiens d’art. Ceux-ci ne peuvent ignorer l’évidence de leur œuvre et les placent naturellement dans la continuité de l’histoire de l’art, en révélant leur apport, leur nouveauté dans l’expression du sacré et l’approche des mystères. Leur avis cultivé et argumenté n’est généralement ni consulté ni retenu par le pouvoir ecclésiastique qui fait, a priori, confiance aux « experts » fonctionnaires de la DRAC et du ministère de la Culture.
Ainsi Arcabas, à l’œuvre plus liturgique que critique, a bénéficié de l’attention de deux historiens d’art, François Bœspflug et Bernard Berthod, pour ne citer que ceux-là. Si l’on observe attentivement le contexte de cet « art caché », on y perçoit aussi beaucoup de vie intellectuelle de haut niveau autour.
Arcabas, peintre de l’aura, artiste dissident, peut mourir en paix, l’œuvre est là, accomplie. Elle entrera dans l’histoire de l’art. Elle a le temps.
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