Arrestation d’Éric Drouet : c’est bien une procédure politique !

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J'ai assez tenté, depuis que les gilets jaunes ont fait irruption dans notre espace démocratique, de tenir une ligne équilibrée.

Pour, d'un côté, comprendre la cause de ceux, nombreux et largement soutenus, qui, légitimement, en appelaient au pouvoir pour améliorer leur condition et, de l'autre, déplorer les violences, saccages, dégradations et attaques des forces de l'ordre de minoritaires motivés seulement par des visées factieuses.

J'ai assez tenté d'instiller de la nuance dans certains échanges avec des gilets jaunes courtois et convaincus dans les "Vraies Voix" de Sud Radio pour ne pas être suspect d'une trouble complaisance à l'égard de ce mouvement longtemps positif mais qui devrait savoir s'arrêter au lieu de répéter "On ne lâchera rien" sans qu'on perçoive bien ce qu'ils prétendent tenir jusqu'au bout.

Éric Drouet, ce chauffeur routier de trente-trois ans, admiré par Jean-Luc Mélenchon qui aime ces frissons révolutionnaires qui lui viennent par contagion, l'un des meneurs des gilets jaunes, excité, déterminé, respecté par beaucoup de ses camarades de lutte, sans doute un peu saisi par le vertige de la médiatisation, pris par une pulsion jusqu'au-boutiste qui n'a plus besoin d'être nourrie par autre chose qu'elle-même, ne m'inspire pas une sympathie particulière.

Mais trop, c'est trop. À son encontre.

Dans la soirée du 2 janvier, il a été interpellé à Paris alors qu'avec d'autres gilets jaunes, il souhaitait rendre hommage aux victimes de ces semaines. Manifestation au sens strict ou non ? En tout cas, il a été placé en garde à vue pour participation à une manifestation non déclarée. Remis en liberté dans l'après-midi du 3, il devra comparaître le 15 février devant le tribunal.

Une procédure politique, en effet ! Avec des haut gradés assistant à son audition et le questionnant !

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Était-il bien nécessaire, alors que pour une fois aucun désordre ni violence n'était à craindre, d'user de cette autorité alors que, depuis des semaines, on avait beaucoup laissé faire en s'efforçant seulement de protéger Paris les samedis et certaines grandes villes de province ? Fallait-il, parce que le pouvoir, après avoir tremblé, n'avait plus peur, s'en prendre à Éric Drouet au risque de le constituer en martyr et, je le crains, de souder des gilets jaunes qui commençaient doucement à s'égailler ?

D'ailleurs, nouvelle manifestation prévue à Paris le 5 janvier à 14 heures !

De la même manière qu'Emmanuel Macron, quand il avait conseillé à un jeune chômeur de "traverser la rue" pour trouver du travail, s'exprimait évidemment au figuré, ainsi Éric Drouet, parlant de l'Élysée, n'envisageait évidemment pas une occupation concrète ni une insurrection, mais faisait état d'un symbole.

J'éprouve l'impression que le pouvoir, de plus en plus rassuré, sous-estimant le soutien maintenu de la population à la masse des gilets jaunes - il y avait des haineux mais ils ne constituaient pas une foule ! -, montre maintenant ses muscles.

Je crois que c'est une grave erreur avant l'instauration d'un vaste débat national face auquel tous les gilets jaunes ne sont pas encore résolus à participer. Cette méthode est catastrophique qui redonne de la force à ce qui s'apaisait, une envie de violence à ce qu'on tranquillisait et fait renaître une tension sans véritable utilité.

Il me semble aussi - c'est un malaise diffus dont la preuve est compliquée à produire mais qui est perçu par bien d'autres que moi - que les gilets jaunes, pour l'ensemble de leurs transgressions, certaines intolérables, d'autres moins accablantes, ont été traités plus durement que des groupes de casseurs venant des banlieues, que les Black Blocs, que l'extrême gauche violente, que les pilleurs. Forces de l'ordre et Justice mobilisées à fond, avec un rythme soutenu d'interpellations, de déferrements et de condamnations.

En soi, on ne pourrait que s'en féliciter si une disparité n'était pas éclatante et donc choquante au détriment des gilets jaunes. Par rapport à tant d'équipées sauvages, de voleurs et de frappeurs masqués. Alors qu'ils n'étaient pas et ne sont pas des malfaisants d'habitude, on ne leur a guère fait crédit de cette virginité !

À la réflexion, rien d'étonnant. Les gilets jaunes, qu'on déteste leur cause ou non, qu'on abhorre ou non leur intrusion irrésistible dans la France officielle, n'étaient pas étiquetés de la même manière que les délinquants de droit commun. Ils ont payé la rançon de leur animosité présidentielle. On sentait bien que c'étaient des citoyens un jour dévoyés, furieux, fiers de faire nombre, des compatriotes malheureux, abandonnés et déchaînés, mais non des gens détestant par principe la France, la police, la gendarmerie, les valeurs. Malgré les apparences, on les craignait moins mais, comme ils paraissaient menacer l'État, on leur a fait subir un régime plus dur.

Alors que peu ou prou, avant, ils étaient tous de simples, de braves gens.

L'État s'est rattrapé sur eux de toutes ses faiblesses, impérities et carences à l'égard de la quotidienneté de la délinquance et de la criminalité ordinaires. Il y a eu quelque chose d'injuste. Comme une inégalité.

Parce qu'Éric Drouet n'est pas l'ennemi public numéro un.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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