Au Québec, on patauge dans l’abondance des genres…
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À Montréal, on sent que mars approche : on patauge dans le slush, cette purée de neige sale. Ça glisse, ça n’est plus tout à fait de la neige, pas vraiment de la boue ; ça gèle, ça dégèle, ça regèle… Bref, c’est incertain. Comme le thermomètre qui fait le yoyo entre +2 °C et -20 °C, ça ne sait pas trop ce que ça veut être.
Dans les têtes, c’est un peu la même chose : on patauge dans le slush de la tolérance.
C’est vrai qu’il n’y a pas plus tolérants que les Canadiens en matière de genre et de sexe. Ici, tout est possible et tout est permis. Si la serveuse est un grand gaillard en jupette sur ses jambes velues, faux seins, barbe au carré et rouge à lèvres, pas question d’y trouver à redire. Ni surtout, pour l’employeur, de l’envoyer se rhabiller. « S’il est bien dans son corps », c’est parfait. D’ailleurs, on fait tout pour l’y aider. Le sexe est sur la table, si je puis dire. On ne rigole pas avec ça. Jusqu’au journal Métro, qui offre en quart de page les « solutions coquines » du Docteur Love : aujourd’hui, extenseur de pénis avec cage vibrante et dessins à l’appui. C’est du sérieux.
Hélas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, loin de lisser les rapports, la tolérance sans limites pose d’insolubles problèmes. Des problèmes moraux, qui plus est.
Explication par l’exemple. L’association chargée de « réfléchir à la santé des femmes », subventionnée par l’État, consacre la campagne de cette année 2020 à la grave question des menstrues. La jeune personne qui s’occupe des finances de l’organisme m’expose le dilemme qui les secoue : les réunions se succèdent pour savoir s’il l’on peut ou non employer le mot « femme » pour communiquer sur cette campagne. Et la réponse est globalement non. En effet, concluent les têtes pensantes, parler des règles des femmes est foncièrement discriminatoire. C’est un réflexe de « femme cis » (pour cisgenre), qui ne cible donc que les personnes dont le genre ressenti correspond au genre physiquement constaté. Or, assure-t-on aujourd’hui, elles seraient minoritaires. Associer règles et femmes, c’est faire fi à la fois des femmes trans (devenues hommes) qui ont toujours leurs menstrues et voudraient bien les oublier, et des hommes trans (devenus femmes) qui ne les ont pas et voudraient bien les avoir. Faire fi, également, de toutes celles et ceux qui sont un jour comme ci et l’autre comme ça, un peu des deux ou rien du tout.
Le problème est récurrent. Ainsi, lors du dernier salon Festivulve, l’angoisse régnait sur le stand de l’association : « Si un trans vient nous voir et demande ce que nous faisons pour eux à propos des menstruations, quel discours doit-on lui tenir ? »
Aujourd’hui, 29 février, non seulement cette épineuse question n’est pas tranchée, mais on aurait tort de la croire secondaire. La preuve : les LGBT etc. ont, récemment, fait interdire la représentation de la pièce Les Monologues du vagin à l’université de Montréal au prétexte qu’« une femme n’a pas forcément de vagin ». Ce qui débouche, si je puis dire, sur un autre problème…
Après les menstrues des trans, il va falloir aborder la santé des lesbiennes. Car pas question, là encore, de les inclure dans le fourre-tout scandaleusement réducteur et discriminatoire des « femmes »…
Bref, on n’en sort pas. Et, voyez-vous, le drame, avec tout cela, c’est qu’à la différence du slush, il n’y a pas de dégel en vue…
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