« Nous avons une volonté de servir qui n’est plus respectée ! »
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Alexandre Langlois, secrétaire du syndicat de police VIGI, était dans le cortège de la grande manif de la fonction publique.
Dans la police, la colère gronde !
Il dénonce un abyssal manque de moyens, la tentation d'une "police privée" propre à toutes les dérives, une gestion des manifestations aux ordres du politique - LMPT versus manifs contre la loi Travail -, un dévoiement du métier faisant incomber aux policiers des missions qui relèvent de l'éducation (comme l'outrage sexiste)…
Pour quelle raison êtes-vous dans le cortège de la grande manifestation des fonctionnaires ?
La fonction publique ne va pas bien du tout. La plupart des fonctionnaires, et en particulier tous ceux qui sont là, se battent, quelle que soit leur appartenance, pour pouvoir faire leur travail, c’est-à-dire rendre un service public égalitaire sur tout le territoire.
Or, on nous en empêche. On veut nous casser notre service public et le privatiser sans discernement.
Notre ministre bis de l’Intérieur a parlé à l’Assemblée nationale de relations contractuelles avec des polices privées. Cela va donc plus loin que ce qu’ils avaient annoncé.
Pour nous, la fonction de police doit être régalienne et gérée par l’État . Nous ne souhaitons pas qu’il y ait d’autres moyens de gérer la sécurité de la population. On est en train de tout déléguer au privé avec toutes les dérives que cela peut comporter. Nous constaterons bientôt des inégalités sur le territoire en fonction des communes, en fonction de leurs capacités financières.
Même en tant que citoyen, si j’ai envie d’aller me promener dans un endroit réputé dangereux, j’ai le droit d’y aller en toute sécurité. On nous interdira de circuler à certains endroits, car trop peu d’argent aura été investi dans la sécurité.
Par ailleurs, nous avons un manque de moyens dans la Police. Dans le cadre de la Police de Sécurité du Quotidien, on nous avait promis des tablettes. Si on fait le calcul, seulement 30 % des policiers seront équipés d’ici 2020. En nombre, cela fait beaucoup de tablettes, mais en pourcentage c’est zéro. Nos véhicules sont désuets. Il a un problème d’organisation... Tout cela ne permet pas de rendre un service public de qualité.
Je vais vous donner un exemple récent.
La société d’une amie déménage. Lorsqu’ils vont au commissariat porter plainte, et qu’ils voient son état de vétusté, ils proposent de venir chercher tous les meubles. Le commissaire en tête et ses collègues sont allés chercher les meubles. Mon amie m’a rapporté qu’elle avait été choquée, parce qu’ils avaient même pris des fauteuils déjà défoncés. Les policiers leur ont répondu que les leurs n’avaient même plus de coussin.
Voilà l’état des services publics ! Voilà ce que les gens voient ! D’où notre présence aujourd’hui.
Les années précédentes, la Police et la Pénitentiaire étaient en colère chacun de son côté. Aujourd’hui, le problème est plus large. Nous voulions montrer que les bases de la fonction publique ne sont plus respectées, ainsi que les gens qui veulent servir le public.
Comment font les policiers pour se mobiliser en temps de grève alors que d’habitude vous êtes plutôt là pour encadrer les manifestations ?
Dans nos missions d’ordre public, nous devons garantir la liberté de manifester. Or, cette mission a été largement dévoyée, quelles que soient les manifestations. Nous l’avions dénoncé pour les manifestations de la loi travail ou celles contre le mariage pour tous.
Nous ne sommes pas là pour apprécier le discours des manifestants, mais pour les laisser s’exprimer librement sans qu’il y ait de perturbateurs.
Malheureusement, nous sommes de plus en plus utilisés pour laisser faire des débordements et des troubles pour noyer le message des manifestants et qu’il n’y ait pas de débat politique de fond. C’est ce qu’on a pu constater sur tous les sujets de société de ces dernières années. Il n’y a pas de débat politique de fond, on ne montre que des violences ou la casse, parce que nous n’avons pas ordre d’intervenir. C’est assez compliqué ainsi de se mobiliser et c’est pourquoi nous restons autour.
En tant que serviteurs du public, nous assurons la sécurité du mieux que nous pouvons malgré des ordres politiques incohérents même pour ces jours-là.
Le 14 juin par exemple, lors d’une manifestation contre la loi travail, les services de renseignements avaient clairement identifié des criminels violents accompagnés de hooligans pour attaquer les policiers. Nous savions parfaitement l’endroit où ils allaient attaquer.
Il y a eu des bagarres et les CRS ont dégagé la voie publique près de Montparnasse. Les consignes n’ont jamais été de les interpeller pour arrêter ces nuisibles, mais seulement de les repousser. Cela a généré un chaos aux Invalides avec les mêmes personnes.
Finalement, cela a perturbé toute la manifestation. On retrouve ce phénomène sur toutes les manifestations.
Concernant la mobilisation, nous n’avons pas le droit de grève. Nous avons le droit de manifester, mais pas le droit de grève. Ce qui veut dire que les jours de manifestation, on nous oppose la nécessité de service pour nous interdire d’y aller.
Les seuls qui sont en capacité de mobiliser sont les syndicats dits « majoritaires et représentatifs ».
Alors qu’ils arrivent à détacher régulièrement entre 100, 200 ou 300 policiers avec des permanents syndicaux, ils n’arrivent pas à le faire aujourd’hui. Malheureusement, ils ne représentent plus les aspirations de la base, comme on a pu le voir ces dernières années. Ils sont complètement déconnectés du terrain et n’ont pu de compte à rendre à la hiérarchie policière.
Reconnaissez-vous vraiment une instrumentalisation de la Police dans le cadre des manifestations ?
C’est même écrit noir sur blanc dans le code déontologique de 2014. Monsieur Valls l’a pris par décret alors que normalement un texte qui limite les libertés doit passer par la loi. Or, c’est passé comme une lettre à la poste.
En effet, dans le code déontologique de 1986, il est écrit que nous sommes garants des libertés individuelles et défenseurs des institutions de la République. Dans le nouveau code de déontologie, nous ne sommes plus du tout garants des libertés individuelles. C’était un gros mot pour monsieur Valls et pour les syndicats majoritaires qui l’ont malheureusement rayé du code. Nous ne sommes plus garants des institutions de la République, mais des intérêts majeurs de la Nation. On met ce que l’on veut dedans.
À partir de là, on a glissé d’une police républicaine au service du peuple qui, par neutralité du service public, doit laisser les gens s’exprimer quelle que soit leur opinion à une police politique qui contrôle socialement les manifestations et qui agit avec des coups de COM politiques.
Je vais vous citer deux exemples.
Notre chef de service avait corrigé les statistiques à la baisse d’une manifestation contre le mariage pour tous. Le lendemain, Le Figaro avait titré « les RG se sont trompés dans le nombre de manifestants ». En réalité, pour ne pas déplaire au pouvoir en place, notre hiérarchie avait minimisé volontairement les chiffres.
Sur les manifestations contre la loi travail, nous nous étions exprimés sur les débordements et l’organisation politique de ces violences. Notre directeur général de la police avait exprimé dans un mail son soutien à la loi travail et au gouvernement.
En tant que commissaire de la police, on ne lui demande pas si la politique du gouvernement est bien ou non, on lui demande simplement de protéger les gens.
Plusieurs ministres, quels que soient les bords politiques, vont régulièrement à la sortie des écoles d’officiers de police et des commissaires pour marteler aux élèves qu’ils vont devoir expliquer pourquoi la politique du gouvernement en matière de sécurité est bonne.
Notre rôle n’est pas d’expliquer, c’est un rôle de politique et de communicants. Notre rôle à nous est de faire appliquer la loi votée par des gens qui ont été normalement élus dans l’intérêt général.
On n’est pas là pour faire de l’explication politique de COM. Nous vivons une dérive complète de l’utilisation de la Police.
Pour revenir à l’actualité, madame Schiappa a voulu mettre en place l’outrage sexiste de rue. Outre la confusion sur ce qui est un outrage qui est normalement réservé à un fonctionnaire dans le cadre de ses fonctions, il y a une confusion entre ce qu’est une contravention et un délit. Mais surtout, la Police va devoir gérer un problème qui n’a rien à voir avec notre travail parce que personne ne veut agir sur le fond. C‘est plutôt le travail de l’Éducation nationale, des associations et de la bonne éducation des parents tout simplement. À la place, on fait une loi pénale, car cela coûte zéro. Une loi pénale coûte juste trois coups de stylo au gouvernement. Ensuite, tout le monde se fout de savoir si ce sera appliqué ou non, tout le monde aura oublié. Mais le coup de COM est fait. Et la police est débordée de missions idiotes comme celles-là.
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