Avortement : annulation de l’arrêt Roe v. Wade, une victoire post-présidentielle de Trump ?

cour suprême états-unis

Lundi 2 mai, le journal Politico faisait « fuiter » un document de la Cour suprême montrant sa volonté d’annuler l’arrêt historique de 1973, Roe v. Wade, ayant rendu constitutionnel le droit à l’avortement. Depuis, le ciel tombe sur la tête de tous les progressistes et idéologistes.

Pouvant – littéralement – faire pencher une élection, l’avortement est très clivant, outre-Atlantique. L’un des instituts de sondage de référence, Gallup, posait, en mai 2021, la question : « Pensez-vous que les avortements devraient être légaux en toutes circonstances (oui à 32 %), légaux seulement dans certaines circonstances (oui à 48 %) ou illégaux dans toutes les circonstances (oui à 19 %) ? »

De même, la chaîne Fox News menait son propre sondage, début mai 2022 : « Faut-il interdire l’avortement dans votre État à partir de 6 semaines de grossesse (50 % de oui, 46 % de non) ? À partir de 15 semaines (54 % de oui, 41 % de non) ? » Et, si la tendance générale reste qu’une majorité d’Américains (63 %) souhaite conserver Roe v. Wade, elle désire en contrepartie davantage de restrictions quant à son accessibilité.

Aussi, pourquoi révoquer le célèbre arrêt maintenant ? Depuis plusieurs mois, on voit la Cour suprême submergée de recours par les mouvements pro-avortement, face aux États conservateurs y limitant l’accès (en septembre, le Texas le restreignait à six semaines de grossesse ; plus récemment, le Mississippi tentait de le limiter à quinze semaines).

Dans son document extrêmement détaillé et argumenté (98 pages), publié par Politico, le juge Samuel Alito précise ainsi que Roe v. Wade a « tort depuis le début ». L’avortement se fonde principalement, et de façon très discutée, sur le quatorzième amendement de la Constitution (respect de la vie privée). Pour le juge, « son raisonnement était exceptionnellement faible et la décision a eu des conséquences dommageables ». « Il est temps de respecter la Constitution et de renvoyer la question de l'avortement aux élus du peuple. » Selon la volonté des pères fondateurs.

Côté politique, les conservateurs satisfaits expliquent qu’il s’agit d’une victoire de Donald Trump post-présidentielle. Rappelons que sur les neuf juges de la Cour suprême, Trump en a nommé trois : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. En 1973, l’arrêt était voté par une majorité de sept juges (dont cinq nommés par des présidents démocrates) contre deux. Depuis, la justice a toujours été une stratégie de fond pour le camp conservateur. Il aura donc fallu attendre neuf présidents.

À noter, tout de même, que l’événement tient de l’enjeu civilisationnel. Interrogé, cette semaine, par le magazine Newsweek, Rudy Giuliani, ancien maire de New York, allait dans ce sens : « Depuis l’arrêt Roe v. Wade de 1973, la moralité de ce pays a considérablement chuté. L'un de mes amis proches, le cardinal John O'Connor, m'a assuré que tant que Roe v. Wade ne serait pas révoqué, l'Amérique déclinerait. Vous ne pouvez pas éliminer autant de vies [...] - sans conséquences morales terribles. Cela a été un massacre. » Et, en effet, le National Right to Life Committee (plus grosse organisation pro-vie américaine) avance qu’en quarante-neuf ans, « 63 millions d'enfants à naître ont perdu la vie à la suite de ces décisions ».

La fuite, et la pression médiatique internationale qui s’ensuivra, changera-t-elle la décision de la Cour suprême ? A priori, « le travail de la Cour ne sera en aucun cas affecté », à en croire le président de la Cour, le juge Roberts.

Dès lors, quelle sera la stratégie des démocrates ? Une possibilité est de faire voter le Congrès pour imposer une décision aux États de l’Union. Mais lorsqu’on voit les difficultés de Biden à fédérer ses troupes sur son grand projet de campagne, on peut douter d’un tel vote avant les élections de mi-mandat.

Et, face aux restrictions à l’avortement, le New York Times explique qu’une solution serait de tout miser sur les techniques abortives à domicile (jusqu’à 10 semaines). À chaque jour suffit sa peine, et son combat.

Gaëlle Baudry
Gaëlle Baudry
Chroniqueuse à BV, spécialiste des Etats-Unis, consultante indépendante

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