Axelle Girard : « Traités comme des exécutants de la fonction publique, les professeurs sont tentés de baisser les bras »
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Axelle Girard, un rapport de la Cour des comptes a été publié, le 2 décembre, pointant l'important absentéisme des professeurs. Quelles raisons voyez-vous à ces absences ?
Il me semble qu'il y a deux raisons majeures à l’absentéisme des professeurs dans l’Éducation nationale.
La première, c’est l’extrême désorganisation du ministère, qui désorganise à son tour la vie des enseignants. Je m’explique : la gestion concentrée, pour ne pas dire souvent déshumanisée, des carrières fait que l’emploi du temps des enseignants est construit en dépit du bon sens. Du double point de vue, d’ailleurs, de l’espace et du temps. Il n’est pas vraiment tenu compte des contraintes personnelles et familiales, du lieu de résidence et d’exercice de la profession. Les organes chargés de la gestion des carrières entrent en conflit les uns avec les autres, précisément parce qu’ils ne sont pas coordonnés. C’est ce manque de coordination qui fait qu’un enseignant peut être convoqué à une formation, ou à une réunion à intervalles réguliers, en lieu et place du cours qu’il est tenu de dispenser à ses élèves.
Ensuite, ce qui explique largement aussi l’absentéisme est la souffrance, souvent silencieuse, hélas, des enseignants. Dans notre pays, 58 personnes de l’Éducation nationale ont mis fin à leurs jours, entre 2018 et 2019. Ces chiffres, révélés par le ministère il y a quelques mois, donnent une idée du climat anxiogène qui règne dans les rangs des enseignants, encore fragilisés d’ailleurs par la crise sanitaire. Ils n’arrivent tout simplement pas à se projeter dans l’exercice de leur métier, puisque 60 % d’entre eux admettent qu’ils ne se voient pas l’exercer jusqu’à la retraite.
Enfin, l’Éducation nationale est globalement dépourvue de ce qui serait une véritable politique de remplacement des enseignants absents. Et il est vrai qu’un professeur ne se « remplace » pas systématiquement ni facilement. Le très haut taux de démission des enseignants en cours de formation ou en début de carrière depuis quelques années est aussi un indicateur du désespoir des professeurs. Traités comme des exécutants de la fonction publique, écrasés par un sentiment d'impuissance et de manque de considération, ils sont tentés de baisser les bras et de rester chez eux, puisque l'administration ne semble pas faire cas de leur mission.
Dans votre parcours, avez-vous eu beaucoup affaire à cette problématique ? S'est-elle accrue au fil des années ?
J’ai eu la chance, pour ma part, d’être scolarisée dans des écoles françaises à l’étranger où le problème ne se posait pas. À mon retour en France, j’ai ensuite bénéficié du sérieux d’un établissement privé catholique, épargné, là encore, par l’absentéisme d’une grande partie des établissements publics. Mais les témoignages, tout comme le rapport des sages de la rue Cambon, sont sans appel. L’absentéisme s’est accru, au détriment des élèves, en particulier ceux des familles les moins favorisées.
Il faut aussi replacer l’absentéisme dans une perspective plus globale de dévalorisation systémique de la transmission. La France peine à tirer les bénéfices de la dématérialisation des connaissances. Le professeur peine, par conséquent, à trouver sa place dans des dispositifs hybrides. Enfin, la disponibilité des savoirs désorganisés sur Internet contribue, dans une certaine mesure, à dévaloriser la relation pédagogique traditionnelle. Ces éléments, ajoutés à l’inertie des salaires, qui n’augmenteront de facto qu’à partir de février 2022, expliquent que les absences se multiplient.
Quelles solutions voyez-vous pour remédier à cette tendance nocive pour les établissements et les élèves ?
À court terme, il faut mettre en place des brigades de professeurs remplaçants, en rappelant des professeurs à la retraite ou en sélectionnant des enseignants en cours de formation. Parce que 36 % des absences sont adossées à des motifs de santé, dans un contexte où les enseignants font entendre leur malaise, il revient aussi à l’Éducation nationale de mettre en place une politique plus efficace de détection des risques psycho-sociaux. Il n’est un secret pour personne, encore moins pour vos lecteurs, que l’école publique ne correspond pas vraiment à l’image idyllique que veulent lui coller les fonctionnaires de la rue de Grenelle. Si nous avons la chance de pouvoir inscrire nos enfants dans des écoles à taille humaine, telles que celles que la Fondation Kairos pour l'innovation éducative soutient, nous ne devons pas tourner le dos aux problèmes qui se posent au système éducatif « majoritaire ». L’Éducation nationale doit mieux protéger ses personnels, fonctionnaires ou contractuels.
L'Éducation nationale doit mieux piloter la carrière des professeurs, auxquels elle n’a pas encore conféré le don d’ubiquité. Ces derniers ne peuvent pas à la fois faire partie d’un jury de concours le matin, assister à une réunion ou à une formation l’après-midi et, dans le même temps, assurer leur cours et… par le même effet, la fameuse « continuité pédagogique ». Et puis, si les enseignants de l'Éducation nationale jouissaient de la liberté pédagogique et de la cohérence pédagogique qui caractérisent les écoles indépendantes, ils seraient plus heureux !
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