Bardella sur CNews : conjuguer la France avec le verbe être avant avoir
Jeudi soir, invité de Christine Kelly sur le plateau de CNews, Jordan Bardella a montré qu’il avait pris de l'épaisseur en même temps que de la barbe. Ce qui n’a peut-être pas tout à fait rien à voir, après tout, puisque dans les temps antiques, la pilosité faciale était symbole de sagesse et de maturité. Clément d’Alexandrie, au IIe siècle, qualifiait la barbe de signe des « hommes », et parmi les apôtres, dans l’iconographie classique, seul saint Jean en est dépourvu car réputé, de la bande, le galopin.
Voilà pour la barbe. Quant à l’épaisseur, ou la profondeur, on la retrouve notamment dans une réflexion fondamentale, qui fait réfléchir : la France, dit-il, « c'est la conjugaison du verbe être et du verbe avoir : le verbe avoir, les questions économiques, on pourra toujours y remédier, une taxe, ça se change en 24 heures, mais l'identité du pays, à partir du moment où elle change, le pays est un autre pays ».
Le président du RN de citer l’exemple de la Grèce, qui a traversé de graves difficultés financières mais qui, près de dix ans plus tard, s’en remet peu à peu. La Grèce existe toujours. L'avoir a été touché, pas l'être. Tout peut se reconstruire, pas « l'identité d'un peuple ».
Dettes et retraites
Il n’est, de fait, question, dans le débat public, que « d’avoir » - entendez de dettes et de retraites.
La France est une vieille tante à héritage dont on doit préserver le patrimoine financier pour mieux le dilapider. On se moque bien de son intégrité personnelle et de ce qui l'anime. L’hiver démographique n’est envisagé - et encore, fort peu - qu’à l’aune des pensions de retraite qui ne seront pas servies. Comme si c’était le seul enjeu (même si c'en est un). Dans les années 60, on a fait venir en masse de la main-d’œuvre étrangère fort éloignée - dans tous les sens du mot - sans d’autres considérations que l’enrichissement des entreprises. Il en est de même aujourd’hui, s’agissant des régularisations dans les métiers en tension.
Bien sûr, la richesse n’est pas sans importance, pour un pays. Mais pour conjuguer le verbe avoir, il faut déjà être un sujet. J’ai, tu as, nous avons, vous avez. Qui sommes-nous ? Et qui serons-nous demain ? Être et avoir sont deux auxiliaires, mais l'un précède nécessairement l'autre. On dirait un sujet de philo. Mais beaucoup de nos politiques, qui ont pourtant largement passé l'âge du baccalauréat, semblent n'y comprendre goutte.
Les journalistes politiques se passionnent pour le spectacle des Premiers ministres successifs qui essaient, l'un derrière l'autre, de ne pas être éjectés, comme dans un rodéo texan, par un cheval bronco. L’idée n’est pas d’avancer, ce serait trop ambitieux, simplement de tenir le plus longtemps possible.
Les commentateurs glosent à l’infini sur les discours de politique générale à l’Assemblée, les débats homériques quant à l’âge de départ (à la retraite), les économies ici et les impôts là : montant de la dette demain contre montant des retraites aujourd’hui, la droite et la gauche ont au fond le même centre d’intérêt, même s’ils ne le voient pas du même côté : « l’avoir ». Sauf qu’une partie croissante de la France regarde ailleurs. Bien sûr, elle craint de ne pas réussir à nourrir ses enfants, mais elle est aussi étreinte par une angoisse ontologique. La fin du mois et la fin du moi. Existera-t-elle encore, demain ? Vient-on parler taux d’intérêt du Livret A dans un service de soins palliatifs ?
Ligne de fracture
À la messe de Requiem de Jean-Marie Le Pen, qui lui, au fait, se méfiait un peu de la barbe - « Les islamistes ont remporté une première victoire : faire porter la barbe à leurs futurs esclaves dhimmis », avait-il lancé, en janvier 2017, pour commenter les colliers qui commençaient à fleurir -, il y avait Marine Le Pen, Éric Zemmour, Philippe de Villiers et Éric Ciotti. Au-delà de leurs désaccords et de leurs programmes économiques divergents, peut-on reconnaître à cette assistance - jusqu’au défunt - un point commun majeur, essentiel, écrasant tous les autres : le désir farouche que la France puisse continuer de se conjuguer avec le verbe être ? Et si la ligne de fracture essentielle était là ?
Bien sûr, l’appauvrissement d’un peuple est tragique. Naturellement, il serait infiniment préférable d'être riches. Mais les cercueils en or ne sont d'aucune utilité, six pieds sous terre. Un pays peut se remettre d’une crise économique, pas d’une submersion migratoire. Et il se trouve que dans le nôtre, comme une double peine, les deux semblent aller de pair.
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