Barnier à Matignon fait fantasmer LR : malentendu, chance ou piège ?

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Il est un point sur lequel l'extrême gauche, par la voix de Sophie Binet par exemple, et Marine Le Pen sont d'accord : Michel Barnier est une anomalie historique. Il accède à Matignon alors que son parti (où il est d'ailleurs loin d'être majoritaire !) vivote autour de 5 % des suffrages et dispose de 47 députés, sur 577, à l'Assemblée. Pour la secrétaire générale de la CGT, cela donne, au micro de France Inter, ce samedi 14 septembre : « On est en décalage complet avec l'esprit des Français. Emmanuel Macron met en place le Premier ministre le plus faible de la Ve République. » Quant à Marine Le Pen, elle a déclaré le même jour, lors de la rentrée du groupe parlementaire RN : « La France ne peut pas fonctionner avec un gouvernement dirigé par une force politique qui a fait 5 % et qui, précisément, a été choisie pour cela. »

Le paradoxe constitutionnel est éclatant. Comment un parti ultra-minoritaire et en déclin peut-il gouverner ? Et avec quelle majorité ? Certes, l'ex-majorité présidentielle soutiendrait Barnier, mais avec les exigences du groupe le plus fort de cette majorité. Le gouvernement Barnier, peut-être même dès sa formation en ce moment, est donc sous surveillance des macronistes, ceux de l'Élysée comme ceux de l'Assemblée. Et pourtant, depuis sa nomination, un étrange vent d'optimisme souffle chez les LR. Barnier, c'est leur divine surprise. L'occasion inespérée de revenir au pouvoir, alors qu'ils enchaînent les défaites électorales. Un vent qui a même fait tourner une girouette : L'express parle de la « volte-face » de Wauquiez. Il serait passé, en trois jours, d'un non ferme à une entrée des LR au gouvernement à des tractations pour y entrer lui-même : il viserait le ministère de l'Intérieur, en concurrence avec Bruno Retailleau, faisant basculer le groupe LR dans la majorité. On voit bien, après le fantasme estival de la gauche de s'imposer comme seule majorité avec ses 193 députés, que celle qui se dessine, des macronistes à LR et peut-être à LIOT, la dépasserait. C'est d'ailleurs une telle alliance qui a permis à la présidente de l'Assemblée de se succéder à elle-même et à LR de conserver un poids réel dans le bureau. Dès ces élections de juillet, l'accord Macronie-LR était en fait acté.

Mais voilà, l'arithmétique est têtue et si le NFP, avec ses 193 élus, n'a pu imposer sa politique, LR, avec seulement 47 députés, le pourrait-il ? C'est cette réalité que vient de rappeler Marc Fesneau, ministre démissionnaire de l'Agriculture et président du groupe MoDem, dans un entretien à La Tribune Dimanche : « LR, avec ses 47 députés, est en train de se comporter de la même manière que le Nouveau Front populaire qui, cet été, estimait qu’il pouvait imposer sa politique même s’il ne disposait que de 193 voix. » Rappelons que le groupe « Démocrates ! » de M. Fesneau compte, lui, 37 membres... On comprend alors que les barons LR sont en plein fantasme de Restauration, qu'ils souhaitent aussi pousser ses prétendants et ses exigences...

Mais alors, que peut espérer LR de ce retour sur le devant de la scène ? Retrouver sa réputation de « responsabilité » et de « parti de gouvernement ». Pour M. Wauquiez, retrouver audience et exposition médiatiques pour sa future candidature. Oui, dans l'immédiat. Mais quand il faudra rentrer dans le dur ? Du budget, de la recherche de majorités, des décisions impopulaires à assumer ?

En effet, pour un parti coincé entre RN et UDR de Ciotti d'un côté et Macronie de l'autre, le pari est à double tranchant. Il est en effet menacé, en cas d'échec de l'expérience Barnier, d'être emporté avec lui dans l'impopularité. Ou bien, en continuant d'imposer ses exigences de droite, comme les a rappelées Laurent Wauquiez à Annecy lors des journées parlementaires de LR (« Nous avons besoin d’une politique de droite avec plus de sécurité et moins d’immigration »), il aura la possibilité de quitter le navire au moment opportun en prenant l'opinion à témoin. Mais il prendra aussi le risque d'être celui qui fait replonger le pays dans l'instabilité qu'il prétendait conjurer. Pas sûr que ces volte-face à répétition soient portées à son crédit par l'opinion.

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

Vos commentaires

30 commentaires

  1. Qu’importe le parti, ce que les français veulent c’est des hommes et des femmes qui gèrent au moins leur quotidien, la sécurité, l’immigration, la santé, la réindustrialisation et l’autonomie alimentaire.
    les magouilles politiciennes ça suffit.

  2. Depuis le début de cette rocambolesque histoire, j’ai toujours pensé qu’il serait suicidaire pour les LR de participer à un gouvernement. Wauquiez avait eu parfaitement raison au début de proposer (ou plus simplement d’indiquer) quels projets de loi lui-même et son groupe accepteraient de voter, mais sans aller jusqu’à être dans le gvt proprement dit. Dans ce cas, ils risquent de se griller définitivement pour 2027, et du coup, on en reprendra encore pour des années d’un gouvernement façon Macron (Edouard Philippe, Gabriel Attal, et consort). Il faut toujours raisonner plus loin que le bout de son nez. A ceux qui pensent que Marine Le Pen pourrait en profiter, je dis que ce n’est pas si sûr. Par ailleurs, le côté gauchiste de Marine Le Pen, au moins en économie, n’a rien d’enthousiasmant.

  3. Macron a mis deux mois pour se trouver un 1er ministre, Barnier prend son temps pour trouver les siens, et la France est toujours sans gouvernement. Je n’ai pourtant pas l’impression que ça change grand-chose ou que ça bouleverse la vie des Français. L’exemple de la Belgique, qui améliore l’état de ses finances à chaque fois qu’elle reste de longs mois sans gouvernement, les sortants se contentant d’expédier les affaires courantes sans engager de nouvelles dépenses en attendant de sortir complètement, devrait nous aider à prendre patience !

  4.  » Une politique de droite » ? Quelle droite? Celle qui s’applique à donner des gages de bonne conduite à la gauche depuis des décennies, oubliant ainsi la France et les Français.
    Wauquiez devrait revoir son logiciel pour l’adapter à la dure réalité.
    Droite et gauche ne veulent plus rien dire aujourd’hui au vu des lourds défis à relever. Il faut maintenant parler ( sans honte ) de patriotes et d’europeistes.

  5. Tentons de regarder l’envers du décor. M.Garnier est placé en responsabilité, en présence de partis qui, à eux seuls, ne présentent pas une majorité. Donc gouvernance estimée très difficile, délicate. Mais retournons l’analyse. Le parlement , de son coté, est véritablement placé lui aussi face à ses responsabilités, plus que jamais. Car , dans la mesure où M.Garnier fera preuve de bon sens, de bonnes intentions, le parlement malgré son défaut de majorité aura le devoir de se prononcer en faveur du redressement de la France et non en fonction de considérations bassement partisanes. LR , placé entre deux chaises, ne devra surtout pas faire la courte échelle au macronisme sous risque d’être catalogué souteneur de médiocrité mais devra ménager le RN sous peine de mécontenter un électorat potentiel précieux pour son avenir. Tous les partis du centre et de droite on intérêt , à la fois à se ménager et à se soutenir. Un jeu diplomatique intéressant. Les plus mordants seront désavoués. Les plus positifs dans l’intérêt de la France seront soutenus.

  6. Ce futur gouvernement dont la date de péremption est à peu près connue à l’avance sera un grand panier de crabes. Si j’étais Laurent Wauquiez, je prendrais plutôt le ministère de l’agriculture ! Ce n’est peut-être pas un ministère très exposé mais c’est un des rares qui fera consensus, et surtout qu’il permette d’être incarné et d’exprimer une vision. Au contraire des ministères régaliens qui seront pris en étau entre Sacha Houllié et Marine Le Pen, et qui seront au mieux des ministres de transition, au pire des ministres impuissants. Ce qui ne sera pas le cas du ministère de l’agriculture, et en vue de 2027 être un ministre consensuel et qui sait exprimer sa vision comptera énormément. D’autant plus que l’agriculture fera l’actualité cet hiver. Sans parler que c’est un électorat très marqué à droite…

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