Baudelaire, 150 ans déjà
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"Après les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle… ou se faire chrétien !" s’exclama Barbey d’Aurevilly dans un article enthousiaste consacré à "ce livre cruel et osé dont l’idée a saisi l’imagination d’un artiste".
Baudelaire s’essaya aussi avec succès à la prose poétique – Petits Poèmes en prose –, rédigea de magnifiques articles – dont ses Écrits sur l’art –, consacra des textes exceptionnels à ses coreligionnaires, dont Théophile Gautier, dédicataire des Fleurs du mal. Même s’il y avait peu d’écrivains contemporains trouvant grâce à ses yeux. Dans une lettre de 1866, il déclarait : "Excepté Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mérimée, Vigny, Flaubert, Banville, Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille moderne me fait horreur."
Notons l’absence de Victor Hugo – qui l’aura "bien ennuyé, bien fatigué", confiait-il à sa mère en 1865 –, tandis qu’il lui avait dédié trois poèmes de son recueil sulfureux, dont "Le Cygne", plein d’un sentiment d’exil devant ce vieux Paris qui disparaissait sous les assauts haussmanniens – ce qui tempère cette modernité qu’on lui prête systématiquement.
Toutefois, dans l’imaginaire collectif, Baudelaire demeure l’homme d’un livre, et quel livre !
D’une structure poétique classique, Les Fleurs du mal sont un terrible éclair dans le ciel littéraire de ce Second Empire prompt à la censure. Hélas, la poésie baudelairienne était trop audacieuse pour son temps – lire, pour s’en convaincre, "Les Métamorphoses du vampire" ou "Les Bijoux" –, ce que le procureur impérial Ernest Pinard, malchanceux avec Flaubert et Madame Bovary, fit payer au poète en 1857, l’obligeant à retirer certaines pièces du recueil, qui demeurèrent interdites de publication jusqu’en… 1949 !
Il est vrai que la poésie de Baudelaire recèle des ivresses périlleuses, comme l’avouait Stéphane Mallarmé, autre poète génial du panthéon littéraire français : "Mon Baudelaire à peine ouvert, je suis attiré dans un paysage surprenant qui vit au regard avec l’intensité de ceux que crée le profond opium." Là se déploie une poésie des abîmes, tourmentée et mystique. Quant à ceux qui ne voient en Baudelaire qu’un sataniste, voici ce qu’il écrivait encore à sa mère, en 1861 : "Je désire de tout mon cœur (avec quelle sincérité, personne ne peut le savoir que moi !) croire qu’un être extérieur et invisible s’intéresse à moi, mais comment faire pour le croire ?"
Depuis 150 ans, Baudelaire repose au cimetière de Montparnasse, à Paris, son nom gravé à côté de celui du général Aupick, le beau-père honni, et sa chère mère, Caroline, à qui il dit un jour : "Nous sommes évidemment destinés à nous aimer, à vivre l’un pour l’autre."
Le poète dandy, maudit au moins par ses démons intérieurs couplés à un destin contraire, s’en est donc allé : "Plonger au fond du gouffre, / Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !" (in "Le Voyage").
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