Bernard Pivot (1935-2024) : le dernier érudit du petit écran tourne la page

https://www.flickr.com/photos/actualitte/44522053312/
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Il est mort le lendemain de son 89e anniversaire, discrètement, dans un monde qui était devenu profondément étranger à l’ouverture d’esprit et à la culture générale dont il était le si médiatique représentant. Bernard Pivot n’aurait peut-être pas apprécié que l’on utilisât à son endroit le mot « bienveillance », si misérablement galvaudé aujourd’hui, et pourtant c’était bien ce qu’il était : un homme bienveillant.

Passion pour les mots

Pivot aimait raconter que, pendant la guerre, il n’avait pas de livres à portée de la main et se nourrissait essentiellement du dictionnaire. Cette passion pour les mots, même sortis d’un ouvrage apparemment rébarbatif, ne le quitta jamais. Çà et là, au fil de sa carrière impressionnante, il y eut des pisse-froid pour le détester, lui et sa vision populaire de la littérature, lui et ses questionnaires qui permettaient aux invités de jouer les histrions. Cela ne l’atteignait pas vraiment. Ce qu’il aimait, c’était faire partager sa passion de la langue française et des livres, que ce soit avec ses fameuses dictées ou avec ses émissions devenues cultes. Les génériques (la solennité lyrique de Rachmaninov pour Apostrophes", la bossa-nova chaleureuse de Sonny Rollins pour Bouillon de culture) le furent aussi. On savait, en entendant les premières mesures, que l’on allait passer un bon moment.

Les plateaux étaient pléthoriques, d’une liberté que l’on ne retrouvait plus, ces dernières années, que chez Frédéric Taddeï, du temps où le service public tolérait encore la liberté d’opinion. C’était le temps où on s’engueulait à la télé, comme dans les émissions de Polac. On fumait, on parlait fort, on arrivait même parfois complètement torché (séquence mythique avec Bukowski, dont les vapeurs de vinasse semblaient percer l’écran). On se draguait un peu aussi, par questionnaire interposé (Fanny Ardant cherchant à se faire remarquer auprès de Mastroianni). On s’écharpait entre ennemis irréconciliables (Volkoff traité de raciste par Pierre Joffroy en 1982, déjà, avec un goût très sûr du cliché de gauche) ou on se toisait pour la première fois sans animosité (Brassens l’antimilitariste face au général Bigeard).

Liberté de ton

On s’y aimait malgré les différences (émouvante émission sur les familles qui écrivent, avec Jean-Edern Hallier et son père militaire ou Michel de Saint-Pierre et sa fille romancière). On ne se tenait grief de rien, au fond : Pivot lui-même, après avoir démissionné du Figaro en raison de désaccords profonds avec Jean d’Ormesson, invita sans rancune le malicieux académicien sur son plateau. Précisons, pour la blague, que la piscine du présentateur portait le nom de Jean d’O, puisqu’il l’avait fait construire avec ses indemnités de licenciement. Et puis, au pire, il y avait toujours, en guise de soupape, cette question si drôle sur le juron préféré des invités. « Espèce de p’tite fiente », répondit par exemple l’excellent Fabrice Luchini.

Bien davantage qu’un professeur pour la jeunesse, bien davantage qu’un passeur de grands romans, ce que son côté « français moyen qui a lu », parfois volontairement surjoué, rendait très naturel, Bernard Pivot, au fond, n’était-il pas, au travers de ses émissions littéraires, l’un de ces maîtres de maison à l’ancienne qui organisaient des dîners entre forts caractères parce qu’ils étaient de taille à héberger les colères homériques et les réconciliations spectaculaires ?

Bref, le voilà qui part tranquillement, dans une solitude terriblement injuste, mais non pas dans l’oubli. Il aurait dû rester à la télé jusqu’à la fin, comme Michel Drucker, parce que ses émissions étaient d’utilité publique et parce qu’il n’y avait personne pour le remplacer. Tranquillisons-nous : il nous reste Hanouna.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/05/2024 à 8:08.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

42 commentaires

  1. Je rends hommage à ce grand homme mais hélas je ne vois pas grand monde à l’horizon pour le remplacer, symbole d’une ère révolue

  2. Bel hommage au bienveillant, cultivé et intelligent Bernard Pivot, R.I.P. Paix à son âme et condoléances à sa famille.

  3. Merci de cet éloge simple et si vrai, bien dans l’esprit de B. Pivot
    Je crois bien que Brassens était face au général Bigeard (et non pas Massu)

  4. Vous avez très bien dit le souvenir que m’ont laissé ses émissions et son côté « français moyen qui a lu », parfois volontairement surjoué, et qui le rendait très naturel.
    Le désert culturel actuel n’est pas qu’une plainte récurrente des vieux qui ne comprennent plus leur époque, quelle qu’elle soit : regardez la mode, depuis 20 ans et plus, dans l’aménagement des logements : blanc, gris, noir, triste, en deuil, pas de couleur (car la vie c’est la couleur, disait Le Corbusier), plus de meuble (« Mais les meubles, c’est fini, on n’en met plus » m’a-t-on dit un jour), on dépersonnalise tout, il faut un triste néant anonyme, dans son logement comme dans sa vie…

    • Ne convient et n’est recherché que l’apparence, et repoussé ce que l’on est véritablement pour beaucoup.

  5. Effectivement Bernard Pivot , aux antipodes d’Hanouna et ses 5 « voila » dans une phrase de 8 mots , réussissait à nous hisser dans la Culture , même lorsque , s’agissant d’authentiques ignares comme moi , son « Public » y trouvait intérêt et du coup s’y intéressait ! Merci Monsieur Florac pour le juste et bel hommage que vous lui rendez et dont les émissions « T.V » me manquaient déjà beaucoup ! Paix à son âme et condoléances à la famille et aux proches de cet homme qui avait le pouvoir de fertiliser , même les incultes !

  6. Tellement érudit mais aussi conteur exceptionnel, c’est pourquoi il a été évincé de France Télévision pour ne pas faire d’ombre aux autres. Ceux qui comme un président éphémère disent qu’il n’y a pas de culture française et qu’ils ne l’ont pas rencontré

    • Rien de d’évoquer ce cuistre de président machiavélique est une injure à l’érudi disparu !

  7. Brenard Pivot, une autre époque où culture et télévision allaient de pair !! Prenez le temps de regarder les programmes actuels et vous comprendrez ! Triste époque pour la culture ……

  8. Et puis lui ,il parlait Français ,le beau Français contrairement à ces pseudoerudits d’aujourd’hui qui l’assaisonnent d’un charabia americanoplebeien insupportable

  9. Et oui c’était une belle époque c’était l’époque ou l’on pouvait tout se dire sans crachats et sans insultes ses invités avait du talent et surtout de l’éducation Maintenant ce n’est plus que les ramassis des fosses septiques

  10. Un grand Homme , cultivé , souriant , intelligent dont les émissions nous manquent . Paix à son ame , condoléances à ses proches .

  11. Une page de ce qui se faisait de mieux en matière de télévision, qui se tourne pour toujours.
    Paix à son âme.

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