Bides et châtiments : le récit des grands naufrages cinématographiques

Une œuvre de salubrité publique, puisque nous prévenant à la fois de la démesure et de la jobardise snobinardes.
BIDES ET CHATIMENTS

Le cinéma, à l’instar de tout art commercial, ne relève pas de la science exacte. Autrement, tous les livres seraient des best-sellers, les albums des disques de platine et les films cartonneraient automatiquement au box-office. Fortuitement, c’est un peu plus complexe que ça, tel qu’illustré dans ce remarquable essai consacré au septième art : Bides et châtiments, rédigé d’une plume malicieuse par Kevin Collette, spécialiste de la question, qui dresse la liste de ces accidents industriels sur grand écran.

Avant d’aller plus loin, il convient évidemment de faire le distinguo entre « navet » et « nanar ». Histoire de résumer, on dira que le « navet » est un film raté ; ce qui n’est pas grave si son budget est demeuré raisonnable, mais qui peut prendre des dimensions catastrophiques si ce dernier a explosé en cours de tournage. Quant au « nanar », il s’agit souvent d’un « navet » qui s’assume, mais qui peut être jouissif au demeurant.

Le cauchemar des producteurs…

Jadis interrogé par l’auteur de ces lignes, le défunt producteur Christian Fechner – les films des Charlots et la résurrection de Louis de Funès avec L’Aile ou la Cuisse, c’était lui – affirmait : « Le pire, pour un producteur, est de signer pour un scénario qui n’est plus le même, une fois la mise en scène commencée. On sait que ce qui est filmé est mauvais et que ça coûte une fortune. Seulement voilà, le cauchemar continue quand on n’a plus d’autre choix que de mettre la main à la poche pour tenter d’enrayer le désastre, sauf à tout arrêter et de s’asseoir sur son investissement de départ. »

C’est précisément ce qui est arrivé au Waterworld (1995) de Kevin Reynolds, sorte de Mad Max aquatique en planche à voile dont les producteurs avaient oublié qu’un tournage en mer est plus que risqué : météo hasardeuse, matériel corrodé par le sel, bateaux qui bougent tout le temps au gré des vents – diantre, personne ne les avait prévenus ? – ; bref, l’horreur. Avec ses Dents de la mer, Steven Spielberg a connu les mêmes affres en 1975, à ce détail près que le film n’avait quasiment rien coûté, avant de devenir un triomphe public et critique, tout en faisant aujourd’hui figure de classique. Tout le contraire du Waterworld en question, énorme boursouflure dédiée à l’autocélébration d’un Kevin Costner à moitié chauve, flanqué d’un Dennis Hopper en méchant balafré tabagique qui cabotine comme si sa vie en dépendait. Montant de la facture : près de deux cents millions de dollars dépensés en pure perte. Tout ça pour une sombre bouse.

Il en va de même d’autres invraisemblables navets de luxe, tel le Speed Racer (2008) des frères Lawrence et Andrew Wachowski, devenues les sœur Lana et Lilly Wachowski grâce aux miracles de la chirurgie. Pourtant, de miracles, cette dernière n’en a pas accompli pour cette adaptation d’un manga japonais consacré à la course automobile. Au final, trois cents millions de dollars auront été engloutis dans cette meringue hautement indigeste. Quand ils étaient hommes, les deux frérots avaient déjà un goût de latrines, la grotesque trilogie des Matrix, tout en vert ; depuis leur changement de sexe, ça ne s’est pas arrangé avec ce film tout en rose.

Terminus, ou le naufrage de Johnny Hallyday…

Mais il n’y a pas qu’aux USA que la démesure sévit ; en France aussi. La preuve par Terminus, de Pierre-William Glenn, arrivé lui aussi à un autre terminus, celui des prétentieux, en 1987. Attention, c’est du lourd que cet autre succédané du Mad Max plus haut évoqué, avec Johnny Hallyday en guerrier du futur, gant de vaisselle façon acier clouté à la main droite, coupe de cheveux à la Desireless à l’appui et qui conduit un camion à peu près aussi effrayant qu’une brouette. Notons, toutefois, que le producteur, se doutant manifestement de l’apocalypse annoncée, a réduit le budget en cours de tournage au lieu de l’augmenter. Ce qui lui a probablement sauvé le slip tout en lui évitant de vendre son pavillon de Garges-lès-Gonesse. Pour la petite histoire, ce summum d’art brut involontaire fera moins d’entrées que la dernière pochade de Max Pécas, On se calme et on boit frais à Saint-Tropez. C’est dire l’ampleur du cataclysme.

Ce qu’en pense le cinéaste Patrice Leconte…

Et voilà donc qui nous amène encore à la frontière ténue séparant « navet » et « nanar » : avec Terminus, Pierre-William Glenn ne sait pas qu’il tourne un « navet », alors que Max Pécas, sur le plateau d’On se calme et on boit frais à Saint-Tropez, est parfaitement conscient de mettre un « nanar » en scène. Ce que note fort bien notre Patrice Leconte dans l’avant-propos de ce savant ouvrage : « Au bout du compte, je me demande si, secrètement, tout au fond de moi, je n’envie pas ces cinéastes qui n’en ont rien à faire et qui tournent des films parce qu’il faut bien faire quelque chose dans la vie, qui ne rêvent pas de sélection en festival, ne rêvent pas non plus César™, se foutent des critiques. Quelle vie paisible doit être la leur. »

Une vie parfois d’autant plus paisible que l’avantage de tourner avec de petits budgets autorise une évidente créativité. Désormais considérés comme des génies, des cinéastes tels que les Italiens Mario Bava ou Riccardo Freda étaient tenus, dans les années 60, pour de vulgaires tâcherons. Mais comme ils tournaient vite et bien pour pas cher, les producteurs ne les réfrénaient pas dans leurs ardeurs poétiques. Le Masque du démon (1960) et Les Trois Visages de la peur (1963) pour le premier, Les Vampires (1957) et L’Effroyable Secret du professeur Hichcock (1962) pour le second, en témoignent. Bref, bien avant Mai 68, l’imagination était au pouvoir.

En ce sens, l’ouvrage de Kevin Collette peut être tenu pour œuvre de salubrité publique, puisque nous prévenant à la fois de la démesure et de la jobardise snobinardes.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Je ne suis pas d’accord avec vous concernant le film « Waterworld » a mon sens c’est un excellent film de divertissement qui vaut largement ces nombreux films extra-planétaires ou meme celui de la NASA du premier homme qui a marche sur la lune. Effectivement faire un film en mer pose des problèmes techniques qui engendrent des problèmes de budget, Il est a noter qu’en matière de metteur en scène résilient en plumes de canard, rien ne vaut BHL.

  2. Je n’ai pas eu le plaisir de voir ces nanars ou navets et je ne perdrais pas un quart d’heure de ma vie pour un film subventionné de l’exception culturelle mais souvent ,pas exceptionnel du tout .
    Mais je me suis bien « marré » à vous lire et je me dis que parfois, des nanars ou navets pourraient faire d’excellents films humoristiques ,sans le vouloir .

  3. Parmi les films à « petits budgets » on pourrait citer ceux de Jean Pierre Mocky. Films dont il était souvent (toujours ?) également producteur. Des films toujours un peu spéciaux mais pas vraiment pour le grand public. Il y a aussi des films qui « auraient pu » être intéressants tel « Le roi lépreux » qui reprend une légende rapportée par Henri Miouhot (1863) concernant un roi du Cambodge qui serait mort de la lèpre et dont le souvenir était conservé par une statue le représantant à laquelle manquent des doigts donnant à penser que la lèpre avait atteint la pierre. Le temple d’Amgkor aurait été bati sur demande de ce roi en offrande aux Dieux afin d’obtenir sa guérison. Il me semble me souvenir que le producteur, qui n’a pu aller au bout de son projet par manque fonds était Jacques de Casenbroot.

  4. Que des producteurs perdent des dizaines de millions de dollars ne me dérangent pas spécialement car c’est leur argent.
    Ce qui me dérange sont tous les navets français, 99,9% des films, financés par de l’argent public en tout genre, c’est à dire mes impôts (je fais partie des moins de 50% de français qui en paient). Vu l’état des finances publiques en tout genre, Etat et collectivités locales, ce devrait être interdit. Comme en plus ils ne financent « bizarrement » que des islamo-gauchistes pour promouvoir le wokisme cela me dérange aussi même si c’est secondaire

  5. Si l’on considère le ratio coût -nombrE de spectateurs les plus grands navets de l’histoire du cinéma français sont dus au spécialiste mondial des œuvres complètes de Jean-Baptiste Botul à savoir béat chéleu.

  6. dans ce « monde » là aussi, beaucoup sont en maintien grâce aux subventions distribuées avec nos impôts ! …
    Le statut de « l’exception culturelle française » nous coûte un pognon de dingue avec des avantages aux « intermittents du spectacle » qui sont infondés …

  7. Il y a bien longtemps que je ne vais plus au cinéma , donc pas un sou pour voir des films wokistes, féministes, diversifiés etc… tous les sujets à la mode, et j’ai aussi retenu les acteurs, actrices comme cet hurleur Jacques Weber, Cluzel etc… qui ont « craché » leurs venins sur les GJ, et les « anti-vacs » , qu’ils aillent se faire voir ! Une sans-dents !

  8. Avis non partagé pour Waterworld: Que le budget ait explosé en vol ne classe pas pour autant le film dans la catégorie naret ou navar. En outre, nous pouvons relever l’originalité du thème: le monde dystopique ici dépeint nous change des éternels univers craquelés sous un soleil d’enfer où les combats s’enchainent entre cadavres de bagnoles et carcasses de buildings. Enfin, si la critique n’a carrément pas été dithyrambique, les téléspectateurs ne s’y sont pas trompés: Le film est noté 2,9/5 sur Allociné, ce qui est parfaitement honorable.

  9. Pour ce qu’est interressant le cinéma avec ses héroïnes femino-wokises ridiculisant les hommes, les remakes inclusifs et biens-pensants, les navets même pas bons pour faire de la pâté à un chien,il y a belle lurette que je ne donne pas un sou pour aller dans les salles Cependant, j’ai pu visionner à la télé des séries comme Yellowstone, 1883, 1923 et l’excellent film de Kevin Costner « Horizon » que certains ont critiqué à tort. Trop « masculiniste » sans doute…

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