Big Ben en mode avion

Dans Opération Tonnerre (1965), l’invisible chef du Spectre fait chanter l’Angleterre sur fond de menace nucléaire. Il déclare au Premier ministre britannique sur une bande audio, d’une voix métallique portant trace d’un indéfinissable accent, qu’en guise d’accord pour le paiement d’une rançon, il faudra faire en sorte que la cloche Big Ben "sonne sept coups à six heures de l’après-midi". Voilà qui ne risque plus d’arriver.

Le 21 août prochain, c’est-à-dire dans une poignée de jours, Big Ben cessera de sonner. Pendant les quatre années qui viennent, une cure de silence attend les Londoniens. Au terme de ces travaux, la légendaire horloge ne devrait plus sonner les heures comme avant, hormis, semble-t-il, dans des occasions exceptionnelles comme le Nouvel An – en somme, ce que l’on appelait autrefois, justement, les fêtes carillonnées.

Certes, Big Ben – la cloche - et son Elizabeth Tower, baptisée ainsi au cours du jubilé de diamant de la reine, donnaient des signes de fatigue. La tour s’enfonçait dans le sol, et la justesse de l’horloge était initialement réglée en ajoutant ou en retirant de vieilles pièces d’un penny. Inadmissible à l’heure des horloges au césium.

Il n’empêche. N’étant pas anglais, je ne peux cependant m’empêcher de regarder tout cela avec un peu de nostalgie : Big Ben en mode avion, c’est comme la tour Eiffel éteinte ; et Big Ben automatisé, c’est comme la tour de Pise que l’on redresse. Joies simples de la tradition et beautés simples de l’imperfection : par exemple, au Nouvel An 1962, l’horloge affichait 10 minutes de retard. Là encore, un tel retard, surtout le soir même de cette fête universelle qu’est la Bonané, semble peu concevable aujourd’hui.

Big Ben sonnait depuis 157 ans ; on y lisait en latin "Seigneur, sauvez notre reine Victoria Ire" ; elle est restée debout pendant le blitz. Bref, c’est un vestige de l’Empire qui va se taire pendant quatre ans.

En 2021, quand la cloche sortira de son silence, que sonnera-t-elle ? Les salafistes de Finsbury Park lui auront-ils enfin intimé l’ordre de régler la journée au rythme des cinq prières ? On en sourirait presque.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:02.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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