Black Lives Matter et l’ambiguïté de la génuflexion

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Ne ressentez-vous pas un certain malaise face au discours du privilège blanc qui accompagne les manifestations Black Lives Matter ? N’êtes-vous pas tiraillé entre le rejet du racisme et le sentiment que, lorsque des statues sont déboulonnées, la police conspuée et que l’on en appelle à la repentance généralisée de l’homme blanc, c’est qu’il n’est plus tout à fait question de racisme et de justice sociale ?

Ballottée par les assauts confus du vivre ensemble, l’arche des valeurs tangue et le mal de mer s’installe. Dans ce navire cahotant, mon cœur nauséeux ne sait quelle rive fixer et oscille entre approbation et indignation. L’approbation, c’est celle d’une cause qui m’apparaît juste, à savoir dénoncer et lutter contre les inégalités sociales et raciales de toute sorte. Mon indignation, c’est qu’au nom de cette lutte, on en arrive à ériger l’homme blanc en oppresseur et exiger de lui des excuses, du simple fait de sa couleur de peau ; et ça marche.

Ce tiraillement que je ressens se résume dans ce qui est devenu symbole du Black Lives Matter : la génuflexion. Car s’agenouiller peut prendre plusieurs significations.

L’agenouillement, ce peut être une posture noble et chevaleresque faite pour exprimer son respect, son soutien et sa loyauté envers une personne ou une cause. S’il s’agit de défendre les valeurs humanistes fondamentales de l’État de droit, alors oui, je me mets à genoux.

Mais s’agenouiller peut prendre un tout autre sens. C’est, en effet, la posture par excellence de la déférence, de la capitulation et de la soumission. C’est l’attitude du Blanc qui s’excuse du simple fait d’être blanc et place sur un piédestal tout ce qui est étranger à sa culture.

J’approuve le respect, je m’indigne contre la soumission.

Pourquoi le Blanc occidental en arrive-t-il à se renier, emportant dans cette haine de soi son histoire et sa civilisation ?

La réponse à cette énigme est pourtant sous nos yeux, visible dans le troisième sens que peut prendre le symbole du mouvement Black Lives Matter et dont nous n’avons pas encore parlé : la génuflexion prise dans son sens religieux.

Dans la religion chrétienne, s’agenouiller est la posture du croyant afin d’entrer dans la prière, la dévotion, mais c’est aussi l’attitude de la contrition, de la repentance et de la demande du pardon. J’ai à l’esprit cette scène stupéfiante, aux États-Unis, où l’on voit des Blancs à genoux, mains en l’air, répéter le sermon moralisateur d’un manifestant noir dans ce qui s’apparente à un simulacre de cérémonie religieuse. Ou encore ce policier et d’autres Blancs couchés sur le sol, les mains derrière le dos, revivant le plaquage de George Floyd, à la limite de l’adoration mystique d’un martyr transformé en saint. Ou encore cette vidéo où des Blancs lavent les pieds de Noirs, rejouant ainsi la scène du lavement des pieds des apôtres par le Christ, la veille de la Passion. Car c’est bien de la Passion de l’homme blanc qu’il s’agit.

Jamais les « bourgeois » ne se sont comportés de cette manière avec les gilets jaunes qui, là aussi, dénonçaient des inégalités bien réelles. Ce relent religieux, discret mais bien réel dans le mouvement Black Lives Matter, n’est pas le fruit du hasard. Cette curiosité découle directement du concept de privilège blanc sur lequel il repose et qui, loin d’être anodin, est un véritable cheval de Troie idéologique réactivant l’inconscient judéo-chrétien profondément enraciné en Occident.

(À suivre.)

Julien Emmanuel
Julien Emmanuel
Enseignant en philosophie

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