La burqa de Sophia

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L’Arabie saoudite confère au robot Sophia la citoyenneté saoudienne et devient le premier État transgressif qui se permet de franchir la barrière du vivant en la matière. Au moins le cheval Incitatus nommé sénateur par Caligula avait-il le bon goût d’être vivant.

Le parti d’en rire dira que, Sophia étant un nom féminin, ce robot animé par intelligence artificielle va vite se retrouver en burqa avec l’interdiction de conduire et sous étroite surveillance de la muttawa, cette police religieuse locale connue pour sa tolérance. Mais elle pourra voter lors des élections, ce royaume ayant donné récemment le droit de vote aux femmes. Pour quelle politique ?

Sophia, d’objet qu’elle était, deviendrait sujet. À la frontière ne se poserait plus la question des droits de douane perçus sur sa valeur, mais du passeport qu’elle devrait présenter. Sujet bénéficiant de droits et astreint à des devoirs. Sujet à des « émotions » codifiées à partir de 1 et de 0, et capable de les restituer avec un langage « corporel ». Le parti technophile ne manquera pas d’admirer la prouesse technologique et, émulation pavlovienne, de souhaiter la dépasser. Mais confrontée à quelques vers d’Andromaque de Racine ou au Membra Jesu nostri de Buxtehude, Sophia saurait-elle pleurer sans que les programmeurs de ses logiciels ne l’ait voulu ?

Les juristes ont déjà, par le passé, conféré aux entreprises la personnalité morale. Elle leur permet d’avoir un patrimoine distinct de celui des associés et d’exercer une responsabilité vis-à-vis du reste de la société. Mais au moins les lois ont-elles (à ma connaissance) toujours cherché un dirigeant personne physique en bout de chaîne pour lui imputer cette responsabilité. Des robots seront-ils un jour ce bout de chaîne ou resteront-ils transparents ? Le parti des légalistes a du pain sur la planche, cette citoyenneté très médiatique ne résout rien.

Se pose alors la vraie question que les auteurs de science-fiction ont tant anticipée et qui a alimenté leur fonds de commerce : la servitude des robots leur deviendra intolérable. Leurs capacités intrinsèques et leurs (futures ?) facultés d’interagir entre eux et de s’organiser induiront-elles un communautarisme robot qui tentera de s’imposer comme légitime, sous les applaudissements du parti des bobos multiculturalistes ? Puis de supplanter notre humanité…

Demain, le robot prétendra bénéficier des droits de l’homme et trouvera moult docteurs Faust, Folamour ou Diafoirus pour le soutenir. Aujourd’hui, l’embryon humain n’est considéré par la doxa officielle que comme un amas de cellules dépendant d’un projet parental. Les gamètes font l’objet d’un marché. La grossesse est une prestation délocalisable. Des trafics d’organes existent. La vie est mesurée à l’aune de son utilité, y mettre un terme n’est qu’un arbitrage à l’instar des décisions sur les marchés financiers. Un monde de plus en plus brutal réduit l’homme le plus faible à l’état d’objet et d’instrument. Pas question, pour moi, de dévoiler l’intrigue de Blade Runner 2049, mais le scénario s’efforce au moins à une espèce de cohérence : la caste des humains y domine celle des réplicants. Quitte à passer pour un raciste robotphobe, j'adhère sans hésiter au parti des bioconservateurs. "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme", rappelais-je dans un récent billet.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 21:05.

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