Cachez ce Zemmour que notre librairie ne saurait vendre

Si aucun pâtissier ne se sent investi de la protection intestinale de ses clients, le libraire, en revanche, estime qu'il se doit de contrôler l'alimentation intellectuelle de toute personne fréquentant son établissement. L'enquête du Figaro confirme ce constat.

Bon nombre de vendeurs de livres s'érigent en passoires effectuant le tri entre bon grain et ivraie, une auto-attribution de rôle au nom de laquelle ils refusent de vendre, entre autres ouvrages, le best-seller d'Éric Zemmour.

« Le livre est beaucoup trop polémique pour nous », déclare une tenancière outragée par tant de désaccords avec ses convictions personnelles. Bravant sa répulsion, la commerçante accepte toutefois de commander le brûlot pour l'éventuel détraqué qui viendrait à le lui demander. Le jour de la livraison venu, le rouge au front, elle remettra l'objet du délit en toute discrétion. Peut-être dans le sous-sol du magasin...

Un autre déclare ne pas avoir « réfléchi longtemps. On a dit non tout de suite. » Dans le cas du réfractaire absolu, l'incitation à se tourner vers Amazon est limpide. Contraint de recourir au site marchand américain, le lecteur découvrira ainsi la liberté de choix et ne remettra plus les pieds dans la boutique du coin. Ainsi naquit le prochain succès du même auteur maudit : Le Suicide des libraires.

Un cas de conscience affreux s'empara des employés d'un redresseur de torts littéraires situé non loin de là : « Il y a eu tout un débat entre le personnel pour savoir si on allait prendre le livre ou non. » Rideau tiré, la boutique afficha le panonceau « Fermé pour cause de réflexion ». Des passants alertés par cette crise existentielle se massèrent devant le magasin. Certains redoutaient le pire. Un suicide collectif ou une reconversion en charcuterie. Au terme de discussions orageuses, il fut décidé d'organiser un jeu de piste dont l'enjeu consisterait à trouver où le livre de Zemmour avait été caché. « Pour trouver celui du polémiste, il faut savoir chercher, et aller tout au fond du magasin, juste avant les réserves », indique Le Figaro. Couvert de poussière, veste en lambeaux, le client arrive victorieux devant la caissière. Après paiement, le héros est expulsé du magasin sans ménagement.

La responsable du lieu se souvient de sa dernière guerre lors de la sortie des mémoires de Jean-Marie Le Pen. Mais l'ancienne combattante finit par capituler et admettre, la mort dans l'âme : « Si certains l'achètent, très bien, ce n'est pas notre rôle de les en dissuader. »

Pour conclure ce rapide tour d'horizon, une libraire de la ville de Toul redore quelque peu le blason de la profession : « C'est notre rôle de libraire de tout proposer, ça fait partie du jeu démocratique. » Les résistants à la pression littéraire ambiante méritent qu'un roman leur soit consacré.