Camps de jeunesse

bivouac feu de camp

Il faut savoir passer outre la référence historique pour revenir au sens de la chose. Même si la basse pression atmosphérique de l’air des temps nouveaux nous ramène sans cesse au point Godwin qui est l’œil de Caïn nous poursuivant de reproches, il faut s’efforcer d’interpréter le mot camp en tant que campement et le mot jeunesse en tant qu’adultes en devenir là où d’autres indignés liraient derechef camp de concentration et jeunesse pétainiste… Redoutable efficacité de la reductio ad Hitlerum. Alors, afin d’avoir un espoir de ravauder le tissu de la France en cours de déchirure, osons dire camps de travail d’intérêt général ou camps de vacances apprenantes.

Avec pour seul horizon les barres d’habitation des cités que l’on disait radieuses, ceux qui, comme des arbres dans la ville, grandissent entre béton et bitume ont une vision du pays pour le moins parcellaire. Terroirs, territoires et histoire ne leur sont que de vagues concepts. Campagnes, montagnes, paysages et rivages totalement en dehors du champ de vision. Amour de la patrie et respect de la nation que notions étrangères.

Il est possible de ramener à nous les petits canards boiteux, les brebis lycanthropes, les moutons noirs, les mutins de Panurge. Pas de wagons plombés mais des bus d’allégresse déportant les errants du trivial vers les régions du sublime. Bien sûr, au départ, armée à Bourbaki, dépenaillée, hétéroclite, traînant la patte, freinant des deux pieds, renâclant, rechignant… cette légion étrange prendra vite du corps. Quand on partage l’héritage comme on partage le pain, on devient com-patriotes et on devient com-pains. L’appartenance au groupe transcende l’origine.

Génération perdue mais aussi jeunesse bouillonnante, avide de vie, d’envie d’avoir envie, désireuse de cap, chercheuse d’or et d’ordre, de sens et de bon sens… Curer les fossés, débroussailler les forêts, dégager les lisses, consolider les donjons, remonter les pierres éboulées des cultures en terrasse, salut au drapeau et bivouac aux flûtiaux. Pourquoi bomber de graffs et de tags tribaux les murs des cités quand on peut graver, sur l’écorce de vieux chênes, des cœurs fléchés qui, avec le temps, laissent de belles traces comme autant de cicatrices de ceux qui sont passés. Se lever tôt, se coucher tôt, de l’aurore au crépuscule, n’est pas une sinécure propice aux vols de nuit. Comme le corps éreinté aspire au repos, l’âme comblée aspire à l’amitié. Le réveil au clairon, le coucher au cor de chasse remettent de la priorité dans le chaos des pensées… et dans les jours flamboyants, le crapahut rythmé de chants de marche qui, seul, peut redonner de la mesure à l’espace.

Comme Pierre Rabhi a saisi à bras-le-corps l’esprit de la terre de France en mettant ses genoux dans la glaise, ses mains dans la glèbe, ses pieds dans la boue en labourant ses champs, les chiens perdus sans colliers s’inventeront des tanières imaginaires de tous ces villages désertés qui invitent à s’y poser. Les coqs, les cloches, l’accent, les danses et les usages leur deviendront vite agréables pour finir indispensables. On s’assimile ainsi en s’appropriant des parcelles. Les radicelles deviennent racines quand on les arrose de larmes, quelquefois de sang et toujours de sueur… et le bonheur sera dans le fruit récolté.

À l’opposé des grands frères aux conseils douteux, des policiers de proximité arbitres de foutchebol, des soutiens psychologiques d’associations parasitaires, confions l’autorité à des hommes aux épaules d’envergure qui, ayant déjà rempli leur vie, ne sonnent jamais creux : un père Jaouen, capitaine du Bel Espoir, un Patrice Franceschi, commandant de La Boudeuse, un légionnaire retraité aux bienveillantes gueulantes, un sergent-major couturé de campagnes… des pères de remplacement pour ceux qui n’ont jamais connu rien d’autre que l’absence. Qui mieux, comme chefs de chantier, que ceux qui savent que quand il est trop difficile de redresser des murs mal fondés, il est nécessaire de briser pour reconstruire plus droit.

Aux sombres héros de la mer…

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