Cas d’école : Amjad a 13 ans et un rêve, « devenir chouf à Marseille »

L’histoire d’Amjad est un condensé des maux qui rongent la société française.
@Rizvi Rahman-Unsplash
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L’histoire d’Amjad est un cas d’école chimiquement pur, une situation emblématique, un résumé ; mieux que cela : un condensé des maux qui rongent la société française. Tout y est : le laxisme des institutions, l’insécurité, l’inadaptation d’un gosse issu de l’immigration, la déroute de la famille, les troubles psychiques, les réseaux sociaux et, pour finir, le trafic de drogue comme unique rêve d’avenir pour un gamin de 13 ans.

Un scénario caricatural

Il s’appelle donc Amjad et vivait, en théorie, au foyer Perce-Neige de Gap. Il a disparu le 23 mars après qu’on l’avait retrouvé une première fois à Marseille et que des gens honnêtes et bien intentionnés l’avaient conduit à la gendarmerie. Placé, pour la nuit, dans un foyer d’urgence, il s’en est échappé. Depuis, plus de nouvelles, et ses proches – en l’occurrence la mère et la grand-mère – alertent sur son sort inquiétant.

C’est France 3-PACA qui raconte l’histoire et tend le micro à la famille. On découvre alors un scénario si emblématique de tous nos ratages qu’aucun scénariste n’oserait l’imaginer, sauf à être accusé de délires complotistes.

Amjad a des parents mais sa mère, qui sans doute en avait la garde, n’est pas en mesure de l’élever et, encore moins, de l’éduquer. Elle est « d’une santé fragile » et l’on nous dit qu’elle est « hospitalisée depuis 2021 », si bien qu’elle n’est pas en mesure de s’occuper de son fils. Où, quoi, quand, comment, pourquoi ? On s’interroge : quel type de maladie entraîne une hospitalisation de quatre années ? Bizarre…

Bref, le gamin a été placé en foyer, au centre éducatif Les Perce-Neige de Gap. C’est un établissement de la catégorie centre d’action éducative qui reçoit des enfants assujettis à une mesure de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou placés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dit l’Annuaire de l’action sociale.

Le Français, qui paye beaucoup d’impôts pour que le service de ces établissements soit efficace, découvre qu’on y jouit d’une liberté surprenante. On apprend, ainsi, que « le jeune de 13 ans s’était déjà échappé du foyer, "mais uniquement la journée, et il rentrait toujours le soir" ». Brave petit. On comprend, dès lors, pourquoi il était déscolarisé depuis septembre. Et que faisait-il de ses journées, le gentil Amjad ? « Certains éducateurs du foyer avaient alerté sur ses fréquentations avec des adultes, sur le fait qu’il fumait, qu’il buvait », dit la grand-mère, ajoutant : « Il errait à Gap depuis 10 mois. » Le temps de nouer de précieux contacts pour son futur job, comme il l'avait confié à sa maman : « Il m’a dit qu’il voulait devenir chouf [guetteur posté à un point de drogue, NDLR] à la Castellane. »

La faute à qui ?

La mère et la grand-mère s’indignent, on peut le comprendre. Que se passe-t-il, dans ces foyers où l’on est censé redonner un cadre de vie à des gamins en pleine dérive et qui en sortent plus cabossés qu’il n’y sont entrés ? « On a envoyé huit courriers à la juge des enfants, on a alerté l'ASE. On a tout essayé. J’ai même demandé qu’il soit envoyé au Maroc, mais la juge des enfants ne m’a pas prise au sérieux », dit la mère à France 3. Tiens donc, et pourquoi le Maroc ? Parce qu’Amjad est assurément un enfant d’immigrés et, donc, qu’il a là-bas de la famille, mais aussi parce que le Maroc, ça n’est pas comme la France : on n’a pas peur d’y exercer l’autorité.

France 3 est aux côtés de la mère, qui « déplore un suivi de son fils insuffisant ». Là encore, on ne saurait lui donner tort. Le gamin aperçu dans les rues de Marseille où il s’était sans doute rendu à un entretien d’embauche, elle a appelé le foyer : « Ils m’ont clairement dit qu’ils n’avaient pas le temps de se déplacer et que c’était à la police de gérer. » Le foyer est peut-être plein de mineurs isolés, qui sait…

Amjad « nous réclamait de l’argent pour s'acheter des vêtements de luxe depuis six mois, il nous menaçait d'aller à Marseille se faire de l'argent », confesse sa mère. Le caïd en herbe est passé à l’acte. En fugue de son foyer depuis le 23 mars, sa disparition n’a été prise en compte que le 26. Précision : Amjad souffre de « problèmes psychologiques » et ne prenait plus son traitement. Tous les ingrédients sont réunis pour que sa situation s'aggrave, voire qu'elle aboutisse à un drame dont la victime sera Amjad lui-même ou des innocents.

Picture of Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

21 commentaires

    • Vous noterez quand même que c’est la famille qui a levé l’alerte, à chaque fois! Ceci n’exclut pas sa responsabilité, mais la mère et la grand’mère ont tenté d’avertir les autorités à chaque débordement constaté…

  1. Footballeur, « chouf », c’est l’ascension sociale à la française aujourd’hui pour des milliers de gamins que l’Education nationale, portée par ses idéologues, a abandonnés.
    Il faut relire La République des instituteurs de Mona Ozouf, où est fait le constat d’une éthique à l’œuvre dans ce métier difficile, qui devait proposer les idéaux propres à la République à des élèves.

  2. À la maison on ne parle pas français, avec la famille et les amis non plus. Bien travailler à l’école, c’est « faire son français ». Au moment de s’insérer dans le monde du travail, on crie à l’exclusion, au racisme. Alors on finit par trouver un job à sa mesure.

  3. Le dilemme, pour un directeur d’établissement, est réel. Les personnes accueillies sont libres, comme tout un chacun! Pour un adulte,le règlement intérieur peut « borner » certaines activités en les interdisant à l’intérieur (comme la consommation d’alcool ou de stupéfiants). Pour autant, en allant dans le village, au bistrot du coin, la personne reste libre. Une personne placée n’est pas en détention. J’ai parlé d’adulte car j’ai dirigé un établissement accueillant des adultes et que je ne connais pas les règles régissant les établissements accueillant des mineurs. Pour autant, dans notre société permissive il n’est pas facule de placer le curseur au bon repère.

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