Ce perroquet de Christophe Girard

Christophe_Girard_2012

Dans une récente tribune, l’excellent Philippe Bilger, revenant sur la démission du maire adjoint à la culture de Paris, Christophe Girard, concluait ainsi son propos : « À considérer l’ensemble des fidélités et des indignations liées à Gabriel Matzneff, j’avoue que le sort réservé à Christophe Girard est tout à fait scandaleux. Ceux qui n’ont pas hésité à flatter cet auteur, à lui rendre hommage, à lui octroyer des prix, en pleine connaissance de ses turpitudes puisqu’il les décrivait, au nom paraît-il de la littérature, continuent à droite comme à gauche, dans les pages culturelles, une vague repentance formulée, à afficher leur légitimité ébréchée, leur goût contestable et leur clientélisme malsain. Rien de tel chez Christophe Girard. Mais c’est lui qui a dû partir et même s’il a bien fait, il est la seule victime en l’occurrence. »

Comment ne pas partager le jugement d’un chroniqueur qu’on apprécie quand il pointe du doigt un « deux poids deux mesures » dans cette chasse aux soutiens de l’écrivain ? Oui, mais avouons-le, on a des faiblesses coupables. Comment s’émouvoir, en effet, de quoi que ce soit lorsqu’on lit, dans La Dépêche du Midi, que Christophe Girard fut secrétaire général de l’empire Yves Saint Laurent qui soutint, dans les années 80, l’écrivain et que ce dernier lui dédia, en 1993, un volume de son Journal, La Prunelle de mes yeux ?

Pourquoi Christophe Girard s’est-il donc représenté sur la liste d’Anne Hidalgo aux dernières élections municipales ? Pourquoi les écologistes ne sont-ils pas sortis du bois plus tôt ? Philippe Bilger pose de bonnes questions. Mais qu’il nous pardonne, on s’en moque un peu. Comme on se moque de l’indéfectible fidélité d’Anne Hidalgo qu’il félicite d’avoir soutenu jusqu’au bout son maire adjoint à la culture.

Comment pourrait-on, cher Philippe Bilger, s’apitoyer sur ce pauvre Christophe Girard ? Souvenez-vous ! Cela n’a, bien sûr, rien à voir avec l’affaire Gabriel Matzneff. En 2002, le Conseil de Paris examinait l’acquisition, par le musée d’Art moderne de la ville, d’une œuvre de l’artiste Marcel Broodthaers (1924-1976). Il s’agissait d’un perroquet vivant enfermé dans une cage installée entre deux palmiers à coté desquels se trouvait, posé sur une table, un magnétophone diffusant un « Moi, je dis » répété en boucle sur des intonations différentes. Coût de l’achat : 210.000 euros.

Répondant à une pauvre élue de droite qui n’avait pas d’argument plus solide que celui du prix qu’elle trouvait excessif pour un volatile qui disparaîtrait à 90 ans, Christophe Girard déclara : « Il faut surtout qu’en matière d’art, les élus n’interviennent jamais. Si on intervient, c'est un mouvement général de censure. C'est la porte ouverte au fascisme. » Avec cette sempiternelle reductio ad Mussolinum, l’adjoint de Bertrand Delanoë démontrait au moins que ce qui était excessif, avant le prix même du perroquet, c’était le montant de l’indemnité de maire adjoint à la culture à Paris.

Pour la petite histoire, précisons que ce perroquet du Gabon, gris à queue rouge – « quel bel oiseau ! » –, était censé rivaliser avec une autre « œuvre » de cet artiste acquise en 1989 par le Musée national d’art moderne du Centre Pompidou : La Salle blanche (1975). Cette salle tient dans une grande caisse : trois murs à moulures étoilés de mots en italique qui appartiennent au registre du métier de peintre (toile, huile, chevalet, images, galerie, pourcentage, éclairage, châssis, etc.), deux fenêtres aveugles, deux radiateurs noirs, une cheminée, une porte et un plafond également mouluré.

Puisque nous sommes dans un pays où les élus, en ouvrant la porte au seul art contemporain, ne l’ont jamais ouverte à une quelconque forme de fascisme culturel, se demander si Christophe Girard est une victime est une question bien superflue.

Qu’importe ! L’adjoint à la culture dégage. Et les Parisiens qui, parce qu’ils en ont assez de la confiscation de la politique par le cirque, ne sont pas allés voter le 29 juin, ces 63 % d’abstentionnistes, ne s’en plaindront certainement pas. En politique, un arroseur arrosé, ça a toujours, sur le moment, quelque chose de réjouissant, surtout lorsqu’il s’agit d’un vieux virtuose de la lance d’arrosage.

Jérôme Serri
Jérôme Serri
Ancien collaborateur parlementaire, journaliste littéraire

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