Ce qui fait la grandeur de l’espèce humaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation de la mort 

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Auguste Comte, pour caractériser l’état de la société propre aux temps modernes, disait judicieusement reductio ad unum. L’un de l’universalisme, l’un du progressisme, l’un du rationalisme, de l’économicisme, du consumérisme, etc. C’est bien contre cette unité abstraite que la colère gronde, que la méfiance s’accroît. Et c’est bien parce qu’elle pressent que des soulèvements ne vont pas tarder à se manifester que la caste au pouvoir, celle des politiques et de leurs perroquets médiatiques, s’emploie à susciter la peur, le refus du risque, la dénégation de la finitude humaine dont la mort est la forme achevée.

C’est pour essayer de freiner, voire de briser cette méfiance diffuse que l’élite en déshérence utilise jusqu’à la caricature les valeurs qui firent le succès de ce que j’appellerais le « bourgeoisisme moderne ». Autre manière de dire le libéral-mondialisme.

Ce que le Big Brother nomme le « confinement » n’est rien d’autre que l’individualisme épistémologique qui, depuis la Réforme protestante, fit le succès de « l’esprit du capitalisme » (Max Weber). « Gestes barrières », « distanciation sociale » et autres expressions de la même eau ne sont rien d’autre que ce que l’étroit moralisme du XIXe siècle nommait « le mur de la vie privée ». Ou encore chacun chez soi, chacun pour soi.

Pour le dire d’une manière plus soutenue, en empruntant ce terme à Stendhal, il s’agit là d’un pur « égotisme », forme exacerbée d’un égoïsme oubliant que ce qui fonde la vie sociale est un « être-ensemble » structurel. Socialité de base que la symbolique des balcons, en Italie, France ou Brésil, rappelle on ne peut mieux.

L’effervescence en gestation va rappeler, à bon escient, qu’un humanisme bien compris, c’est-à-dire un humanisme intégral, repose sur un lien fait de solidarité, de générosité et de partage. Voilà ce qui est l’incarnation de l’absolu dans la vie courante. On ne peut plus être, simplement, enfermé dans la forteresse de son « chez-soi ». On n’existe qu’avec l’autre, que par l’autre. Altérité que l’injonction du confinement ne manque pas d’oublier.

Amusons-nous avec une autre caricature : la mascarade des masques.

Souvenons-nous que tout comme la Réforme protestante fut un des fondements de la modernité sous l’aspect religieux, Descartes le fut sous la dimension philosophique. Qu’ils en soient ou non conscients, c’est bien sous son égide que les tenants du progressisme développent leurs théories de l’émancipation, leurs diverses transgressions des limites et autres thématiques de la libération.

Descartes, donc, par prudence, annonçait qu’il avançait masqué (« larvato prodeo »). Mais ce qui n’était qu’une élégante boutade devient une impérative injonction grâce à laquelle l’élite pense conforter son pouvoir. Resucée de l’antique, et souvent délétère, theatrum mundi !

On ne dira jamais assez que la dégénérescence de la cité est corrélative de la « théâtrocratie ». Qui est le propre de ceux que Platon nomme dans le mythe de la caverne, les montreurs de marionnettes (République, VII). Ce sont les maîtres de la parole, faisant voir des merveilles aux prisonniers enchaînés au fond d’une caverne. La merveille, de nos jours, ce sera la fin d’une épidémie si l’on sait respecter la pantomime généralisée : avancer masqué. Le spectaculaire généralisé. N’est-ce point cela, que Guy Debord annonçait lorsque après La Société du spectacle (1967), dans un commentaire ultérieur, il parlait du « spectacle intégré ». Sa thèse, connue ? Comprise ? C’est l’aliénation, c’est-à-dire devenir étranger à soi-même à partir du consumérisme, et ce, grâce au spectacle généralisé. Ce qui aboutit à la généralisation du mensonge : le vrai est un moment du faux.

Dans la théâtralité de la caste politique, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Le faux se présente masqué, comme étant un bien. Ce que Jean Baudrillard nommait le « simulacre » (1981) : masque du réel, ce qui masque la profonde réalité du réel. Ce que Joseph de Maistre nommait la « réité » !

Comme ce que fut la série américaine Holocauste, le masque consiste à susciter des frissons dissuasifs (de nos jours, la peur de l’épidémie, voire de la pandémie) comme « bonne conscience de la catastrophe ». En la matière, implosion de l’économicisme dominant où la valeur d’usage telle qu’Aristote l’analyse (Le Politique, ch. III, par. 11) est remplacée par la valeur d’échange.

C’est ce que les montreurs de marionnettes, inconsciemment (ils sont tellement incultes), promeuvent. Le masque, symbole d’une apparence, ici de la protection, ne renvoyant à aucune « réité » mais se présentant comme la réalité elle-même.

Pour donner une référence entre Platon et Baudrillard, n’est-ce pas cela, le « divertissement » de Pascal ? Cette recherche des biens matériels, l’appétence pour les activités futiles, le faire-savoir plutôt qu’un savoir authentique, toutes choses qui, éléments de langage aidant, constituent l’essentiel du discours politique et des rabâcheries médiatiques. Toutes choses puant le mensonge à plein nez et essayant de masquer que ce qui fait la grandeur de l’espèce humaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation de la mort.

Michel Maffesoli
Michel Maffesoli
Sociologue - Professeur émérite à la Sorbonne, membre de l’Institut Universitaire de France

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