Les centre-villes sont désertés ? Il ne fallait pas mépriser la petite bourgeoisie !

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La désertification des centre-villes - en particulier des villes de taille modeste - est devenue un marronnier : « Le déclin des centres-villes, grande cause nationale », titrait encore, il y a quelques jours, Le Nouvel Économiste. On observe parallèlement, parce qu’elle en est le corollaire, la disparition des classes moyennes, théorisée par le géographe Christophe Guilluy.

Sauf que prisme marxiste ou libéral oblige, on ne s’intéresse qu’au facteur économique : au commerce, au pouvoir d’achat, au fait (indéniable) que le bassin d’emploi se trouve dans les grandes métropoles. Même lorsque Christophe Guilluy parle d’insécurité culturelle, il n’évoque que l’immigration.

Mais le délitement du tissu social de ces moyennes villes de province n’est pas seulement affaire de revenu ou de grande surface installée au mauvais endroit. Ni même d’immigration. C’est tout un mode de vie qui a été banni, une fois encore, par détestation de soi.

Lors de la campagne électorale, à propos de l’ouverture le dimanche, Emmanuel Macron avait raillé la "blanquette de veau en famille" que les "petits bourgeois", - "des immobiles" - partagent en famille.

Plat préféré du commissaire Maigret, la blanquette de veau fleure la France pompidolienne, tranquille et prospère. C’est la petite bourgeoisie « blanquette de veau » qui habitait les jolies maisons anciennes de centre-ville, avec moulures, parquet et carreaux de ciment dans l’entrée. Parce qu’elles ne connaissent ni dressing ni suite parentale, et que l’on n’est plus assez éduqué pour en goûter le charme, on les délaisse désormais pour le confort d’une maison neuve, en périphérie, dans une résidence arborée façon série américaine. Et, du reste - quelle merveilleuse idée ! -, Nicolas Hulot n’envisage-t-il pas de les taxer car « mal isolées » ? Il en est de même du mobilier - c’est l’autre Grand Remplacement, aux yeux bleus celui-là -, que l’on retrouve dans les vide-greniers, bradé parce qu’on lui préfère désormais le géant suédois IKEA.

C’est la petite-bourgeoisie-blanquette-de-veau qui allait dans le joli théâtre rococo et doré de centre-ville, désormais la plupart du temps fermé, sauf quand, pour faire chic, on y programme la queue d’un spectacle d’art contemporain inepte.

Décriée par les artistes, de Flaubert à Chabrol, en passant par Brel - "T’as voulu voir Vierzon et on a vu Vierzon", car il est établi qu’on n’y trouve que des gens étriqués et ennuyeux, la bourgeoisie de la France périphérique a été aussi la cible privilégiée des soixante-huitards, confer l’affaire de Bruay-en-Artois, du fait de son côté collet monté - récemment initiée aux codes de la "bonne éducation", il est vrai qu’elle ne craignait rien tant que la faute de goût. Elle est supposée hypocrite, toute en apparences. Qui aspirerait à en faire partie ?

Le petit (ou moyen) bourgeois, qui n’est rien d’autre qu’un pauvre ayant pris l’ascenseur social grâce à ses efforts, ou à ceux de ses parents, attachait beaucoup d’importance aux valeurs mérite et travail. Qui ont donc disparu avec lui. L’école lui donnait, avant l’ère Bourdieu, en plus de potentialités matérielles, un bagage culturel. Tout cela est fini : le notaire, le pharmacien, le médecin, le petit industriel de province, quand il en reste, sont désormais des techniciens supérieurs. Leur matière reste la pâte humaine et ses constances éternelles, mais ils n’ont pas fait leurs humanités. Sans doute ne connaissent-ils plus la pauvreté matérielle, mais ils ont gardé la pauvreté culturelle. Comme les autres, ils regardent Hanouna. Ils n’adhèrent plus à ce que furent les valeurs constitutives de feu leur caste, ont même honte « d’en être ». Il est, pour eux, vital de montrer qu’ils savent quitter leur « trou » en partant une fois l’an dans un club de vacances à l’autre bout du monde.

En 2009, dans Il faut sauver le petit bourgeois, Jacques de Saint Victor mettait en garde contre cette disparition. Elle se traduit aujourd’hui, sur le plan géographique, par la désertion des centres-villes, que des maires ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez pensent pallier en multipliant les logements sociaux.

Le seul tissu social sans histoire, encore éduqué au mérite, encore « formaté » par des codes et des rites (désuets), continuant à soutenir ces petites villes était, jusqu’à peu, les régiments. Les officiers, comme dans Les Grandes Manœuvres, frayaient avec la bourgeoisie locale. Avec la fin du service militaire et la réduction comme peau de chagrin des budgets, ces régiments disparaissent un à un - pour le plus grand désarroi des gens du cru -, vidant les commerces, les écoles et les logements de centre-ville.

Une piste, pour repeupler ces villes, serait le télétravail des cadres du secteur tertiaire et le triple repoussoir cote immobilière-embouteillages-insécurité des grandes métropoles. À condition d’en créer les conditions favorables. Et de cesser de les mépriser.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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