Chambord : la France rêverait-elle d’un pouvoir petit-bourgeois plutôt que d’une présidence irréprochable ?

Je le craignais et c'est arrivé.

Le président de la République s'est rendu à titre strictement privé, pour fêter l'anniversaire de ses quarante ans, avec son épouse, les enfants et les petits-enfants de celle-ci qu'il considère comme les siens, dans un gîte confortable à quelque deux cents mètres du château de Chambord. Il a réservé un salon du château pour une soirée festive le 17 décembre.

Il a évidemment dû préciser que les frais seraient réglés avec ses deniers propres. Ce qui était la moindre des choses, mais n'était pas si fréquent puisque la nostalgie ne cessait pas de citer l'intégrité du général de Gaulle séparant radicalement ce qui relevait de l'État et ce qui se rapportait à sa sphère familiale. Et que le sens civique s'irritait de ce que Nicolas Sarkozy n'ait pas eu apparemment la même pratique !

L'étonnant est que cependant - au-delà même des vitupérations monomaniaques de Jean-Luc Mélenchon qui croit que "sa" République est celle de tous - ce séjour, pourtant impeccable sur le plan de la déontologie présidentielle, ait été dénoncé ou au mieux moqué.

Avons-nous été si peu habitués à l'allure et à la tenue du pouvoir depuis les derniers mandats que nous soyons obligés de qualifier de régalienne la moindre escapade familiale ? Avons-nous une telle conception grisailleuse et uniforme de la République que la proximité du Président avec le château de Chambord soit perçue comme offensante à l'égard du peuple de France et révélatrice d'un syndrome royaliste ? Dans quel état notre pays est-il tombé pour s'offusquer, au-delà même de la rectitude financière, du moindre mouvement présidentiel dès lors qu'on le rattache de manière absurde, non pas à la gloire de la France, mais à un narcissisme personnel ?

Il semble que certains ne peuvent créditer Emmanuel Macron d'un élan sincère, heureusement partagé par beaucoup de Français, vers une merveille de notre patrimoine, d'un hommage, d'une reconnaissance à l'égard de Chambord qui fait partie, même pour les têtes les moins informées, de notre Histoire et de ses splendeurs admirables, qu'elles soient un don de nos rois ou, plus tard, une offrande de la République.

Cette aigreur permanente est insupportable qui, même lorsqu'elle n'a rien à se mettre sous l'envie ou le sarcasme, se développe et pourrit l'esprit public.

De plus en plus - et sur tant d'autres registres -, j'ai l'impression que la vision de la France se rapetisse et qu'elle rêverait d'un pouvoir petit-bourgeois plutôt que d'une présidence irréprochable et de classe, sur le plan esthétique. J'entends par là que les formes, la forme sont à magnifier et qu'elles rendent alors le citoyen fier de ce qui brille en son nom.

Et l'esthétique n'est pas rien pour une démocratie.

Pour nos empoignades, on a bien assez avec la politique !

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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