Chambres d’agriculture : percée historique de la Coordination rurale

Le 6 février au soir, trois grandes tendances ressortaient déjà des résultats partiels (80 % environ) des élections aux chambres d’agriculture qui se sont déroulées en janvier.

La FNSEA/JA reste majoritaire mais perd du terrain

Ultra-dominante jusqu'ici, la coalition FNSEA/JA (Jeunes Agriculteurs) reste majoritaire dans la plupart des chambres départementales, mais en perdrait au moins une quinzaine par rapport au précédent scrutin de 2019. Si aucun de ces deux syndicats n’a pu répondre à la sollicitation de BV, Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, a logiquement revendiqué, lors d’une conférence de presse, une victoire « sans aucun triomphalisme » et constaté qu’avec des « listes arrivées en tête dans plus de 80 % des départements », l’alliance FNSEA-JA constitue encore « la première force syndicale du monde agricole ». Mais, comme l'explique le communiqué commun des deux partenaires, Arnaud Rousseau reconnaît par ailleurs avec lucidité qu’un « vote de la colère […] a prospéré sur les promesses non tenues depuis près d'un an par les pouvoirs publics, alimentant ainsi un sentiment d'abandon ». Reste à comprendre pourquoi ce vote s'est traduit par une forme de « dégagisme » à l'encontre de l'alliance FNSEA-JA.

La CP toujours marginale mais en progression

La Confédération Paysanne (CP), que nous n'avons pas réussi à joindre, tire son épingle du jeu et s'en est félicitée, ce matin, sur son compte X. Si elle conserve, pour l’instant, Mayotte, où les élections ont été repoussées en raison du cyclone Chido, elle a gagné l’Ardèche, ancien fief FNSEA, et revendique aussi une possible (mais non encore confirmée officiellement) victoire en Guyane. Peut-être pénalisée par une image de syndicat d’ultra-gauche, fortement empreint d’une culture à la fois marxisante et écolo-bio-sectaire (où José Bové fait figure de modéré), la CP n’a sans doute pas profité autant qu’elle l’espérait du vent de fronde anti-système qui s’est emparé d’une grande partie du monde agricole. Sa progression est cependant réelle.

La CR sort grande gagnante

Mais le grand gagnant de ces élections 2025 sera indéniablement la Coordination rurale (CR), dont la poussée électorale lui a permis de prendre au moins 14 départements à l’alliance FNSEA-JA, comme l'explique son communiqué. Alors qu’en 2019, la CR n’était majoritaire que dans la Vienne, la Haute-Vienne et le Lot-et-Garonne, elle l’est désormais dans treize départements d’un grand quart sud-ouest de l’Hexagone, où elle se constitue donc un véritable fief. La CR pourrait même devenir majoritaire en Nouvelle Aquitaine et gagner ainsi la première région de son histoire. Par ailleurs, la CR conquiert aussi les Ardennes. Nous assistons là, non seulement à un phénomène électoral inédit dans un monde agricole jusqu’ici très peu enclin à discuter la domination agricolement correcte de la FNSEA, mais sans doute aussi à une montée en puissance d’un courant profond, qui révèle une fracture importante.

Capture écran Terre-Net Chambres d'Agriculture Source: https://chambres-agriculture.fr/

Un très payant travail de terrain

Christian Convers, vice-président du syndicat, confie à BV que « cette victoire est une reconnaissance des positions que nous défendons ». La CR et ses « bonnets jaunes », omniprésente dans les récentes manifestation, serait-elle aussi récompensée d’un intense travail de terrain durant toute la campagne ? « Nous avons enchaîné les réunions et cela a suscité de la curiosité, mais aussi de l’intérêt et de l’adhésion. Nous avons été rejoints par de nombreux agriculteurs non syndiqués, ainsi que par des syndiqués historiques de la FNSEA ou des JA. » Un aspect que Véronique Le Floc'h, présidente de la CR interviewée par BV il y a un mois, avait bien souligné sur BFM TV et le compte X du syndicat. L’engagement fort du syndicat contre plusieurs aspects de la politique agricole européenne, et contre certains accords internationaux, semble avoir été payé de retour.

Pour Christian Convers, « cela a permis une clarification, de sortir d'une certaine hypocrisie ». Et il prend en exemple un des thèmes forts de la CR : « Quand nous parlons d’autonomie alimentaire, cela signifie produire le maximum de ce dont nous avons besoin chez nous avant de vouloir l’importer. Cela n’est pas la même chose que de dire que l'autonomie sera toujours garantie par les importations. » Et cela, pour le vice-président de la CR, « les agriculteurs sont nombreux à le comprendre, qu’il s’agisse de la politique européenne ou des accords de type Mercosur ».

Une agriculture, deux mondes ?

Comment expliquer que la percée électorale de la CR se soit avant tout faite dans le Sud-Ouest, mais aussi dans les Ardennes ? « La CR progresse le plus là où les agriculteurs souffrent le plus. La réalité des vrais agriculteurs, c’est la disparition de 100.000 fermes en 10 ans. » Alors comment, dans ces conditions, « faire confiance à un syndicat qui dit s’opposer au Mercosur mais dont les businessmen investissent massivement au Brésil, en Argentine ou en Malaisie ? » Clin d'œil à peine voilé aux activités du groupe Avril, multinationale agro-industrielle dirigée par le président de la FNSEA Arnaud Rousseau.

Si une leçon peut d’ores et déjà être tirée de ce séisme électoral, c’est que la CR, et dans une bien moindre proportion la CP, incarnent fortement, aujourd’hui, une paysannerie en lutte pour sa survie, face à une alliance FNSEA-JA dont l’image semble se réduire de plus en plus à la défense des seuls intérêts agro-industriels. Deux mondes forts différents. Et divergents.

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