Charlie Hebdo : satirique jusqu’à saturation
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L’hebdomadaire Charlie Hebdo a su perpétuer le ton bête et méchant revendiqué par son prédécesseur Hara Kiri. Ses dessins macabres et moqueurs sur les soldats français morts au combat le 25 novembre au Mali, publiés deux jours après, réinterrogent le sens du « phénomène Charlie ». Ils ont provoqué une lettre de protestation du général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT).
On se souvient que l’attentat islamiste au siège du journal, le 7 janvier 2015, avait provoqué une onde de choc internationale sous la bannière « Je suis Charlie », dont on peut douter de l’authenticité.
Alors, Charlie, étendard rassembleur ou brûlot imposteur ?
Coté rassembleur, le slogan « Je suis Charlie » a constitué un phénomène d’identification et de mobilisation de masse en réaction épidermique à des événements dramatiques à forte charge émotionnelle – attentats, répressions, catastrophes, etc. Cette mobilisation, vite propagée par les réseaux sociaux et amplifiée par les caisses de résonance médiatiques, sans aucun filtre, est alimentée par l’affect et la peur collective ; elle répond à l’instinct grégaire du plus grand nombre.
Pour autant, ces manifestations montrent leur caractère éphémère car superficiel, voire factice. Comme dans le livre-jeu Où est Charlie ?, on cherche le véritable catalyseur du phénomène, noyé dans une mer d’individualités agglutinées par besoin de se rassurer en suivant les impulsions du groupe. La grande marche organisée en 2015 a révélé la diversité des motivations des participants, de tous bords y compris opposés sur le sens de l’événement et ses conséquences. Une fois retombé le soufflé de l’émotion, les divergences ont repris le dessus et l’hebdomadaire en a retiré un grand bénéfice.
Car, côté imposteur, Charlie Hebdo présente une double face ambiguë qui le discrédite. D’un côté, il revendique un esprit satirique, genre littéraire ancien (de satura, pot-pourri) qui provoque et prétend forcer la réflexion, au nom de la liberté absolue d’expression. Tout de même, on peine à le comparer aux Nuées d’Aristophane… Or, il ne fait que déverser un flot imagé de propos vulgaires, irrévérencieux et orduriers qui flattent le goût primaire du lecteur sans aucun recul ni questionnement. Certes, le caractère bon ou mauvais du goût est relatif, quoiqu’il s’éduque, et on doit préserver la liberté d’expression. Mais on peut s’inquiéter de l’impact de ces provocations sur une part croissante de la population qui maîtrise mal les degrés de la langue. Comme disait Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ».
Par ailleurs, Charlie Hebdo s’est corrompu en acceptant le statut protégé de citoyen d’honneur de la ville de Paris. Par là, il a perdu son indépendance et échappe à la loi de l’offre et de la demande. On aimerait connaître le coût multiforme réel de ce soutien artificiel, anticoncurrentiel, d’un hebdomadaire qui aurait disparu, faute de lecteurs, sans une perfusion d’argent public. L’hebdomadaire a d’ailleurs failli disparaître pour cause de disputes internes sur l'emploi de cette manne financière providentielle.
Dans ces conditions, la lettre du CEMAT peut paraître excessivement humble. Si l’on comprend le besoin légitime de défendre les familles endeuillées et le recrutement des armées, on peut regretter la tonalité victimaire du discours : « Qu’avons-nous donc fait […] pour mériter un tel mépris ? », « Qu’ai-je manqué moi-même […] dans l’explication du sens profond de l’engagement ? » Son invitation « […] avec sincérité et humilité, à venir vous joindre à nous ce jour-là, pour leur témoigner vous aussi, qui avez souffert dans votre chair de l’idéologie et de la terreur, la reconnaissance qu’ils méritent » est-elle audible ?
On peut en douter quand Charlie Hebdo, conscient du risque d’impopularité et comme pris par un cas de conscience, manifeste une volonté ambiguë d’apaisement, « ...conscients de l'importance du travail effectué par les soldats français pour lutter contre le terrorisme ». On comprend sa crainte de se faire involontairement hara-kiri, mais conscience n’est pas respect.
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