[CHRONIQUE] Le pape est mort, vive le pape

L’Église est semblable à un fleuve au cours immuable dont les eaux se renouvellent sans cesse. Ainsi, donc, les papes passent mais l’Église demeure. Depuis deux mille vingt-cinq ans. Cette longévité ne peut qu’amener à s’interroger. Si elle n’était qu’une œuvre humaine, aurait-elle tenu bon malgré les faiblesses de ceux qui l’ont servie, en dépit des heurts et des malheurs de l’Histoire, nonobstant le scandale de la division des confessions chrétiennes. Chacun connaît le dialogue prêté à Pie VII et Napoléon Ier : « Sire, vous prétendez détruire l’Église. Vous n’y parviendrez pas. Cela fait plus de mille huit cents ans que nous nous y efforçons et nous n’y sommes pas parvenus. » « Se non è vero, è bello » diraient les Italiens. L’anecdote est plaisante mais surtout profonde, car elle dit que l’Église n’est pas seulement une construction humaine et que « les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle ».
De même que dans l’ancienne France, le roi ne mourait jamais - « le roi est mort, vive le roi » - car il existait un corps mortel et un corps spirituel du roi - la souveraineté du royaume qui ne pouvait s’éteindre -, de même l’Église ne s’arrête pas au décès du pape, car la souveraineté spirituelle de cette monarchie élective de droit divin qu’est la papauté ne meurt pas avec le souverain pontife.
L’humble majesté qui sied au « serviteur des serviteurs du Christ »
La mort du pape François a fait converger à Rome une dizaine de rois et reines, une cinquantaine de présidents élus, dont la présidente indienne Droupadi Murmu, Lula, Milei et Trump, des chefs de gouvernement, des milliers de journalistes et de fidèles du monde entier. Phénomène qu’aucun chef d’État laïc ne saurait provoquer, tant il est mondial. Mais cela n’est pas nouveau. Lors des funérailles de saint Jean-Paul II, une photo avait fait le tour du monde : celle des trois présidents américains (Bush père et fils et Carter) agenouillés devant la dépouille de ce lutteur de Dieu que fut le pape polonais. L’image jetait à la face du monde une vérité dérangeante pour notre monde coupé de transcendance : ceux qui gouvernèrent le pays le plus puissant du monde se faisaient petits et humbles devant les restes mortels du porte-parole du Christ. Et peut-être que sous les ors du Kremlin, Vladimir Poutine, au milieu des ruines de l’URSS, ruminait la question ironique de Staline : « Le Vatican, combien de divisions ? » « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États… », avait proclamé Jean-Paul II, au jour de son investiture.
Les funérailles de François se sont déroulées dans la simple grandeur latine du rite catholique, devant la haie d’honneur écarlate des cardinaux dont la pourpre rappelle le sang des martyrs. Le défunt pape, qui aimait l’humilité ostentatoire, a ainsi connu la vraie humilité qui consiste à savoir accepter les honneurs dus non pas à sa propre personne mais à la charge que l’on remplit, qui sont faits de beauté, d’ampleur et de respect. Rien d’étriqué ni de vulgaire. Simplement l’humble majesté qui sied au « serviteur des serviteurs du Christ ».
Un personnage complexe donc, paradoxal
Dès après sa mort, nombreux sont ceux qui se sont empressés de faire un bilan de son pontificat. La prudence conseillerait le recul, surtout lorsqu’il faut apprécier l’action d’un pape jésuite et argentin dont le gouvernement fut notoirement autoritaire. Sans doute comprenait-il mal l’Europe, qualifiée de « vieille femme stérile ». Mais, d’une part, le Christ est venu pour les malades et non les biens portants et, d’autre part, l’écriture sainte est remplie de femmes stériles qui font l’objet de la compassion de Dieu. Quant à la France, il a été dit qu’il la méprisait ou, à tout le moins, ne l’aimait guère. Et chacun se souvient de ses propos étranges sur Marseille ou la Corse qui ne seraient pas en France ! Mais, en vérité, peut-on lui reprocher de n’avoir pas voulu servir de faire-valoir à Macron, alors que celui-ci se fait grande gloire d’avoir inscrit l’avortement dans la Constitution de la République.
Son « option privilégiée » pour les immigrés et les restrictions mises pour la célébration de la messe tridentine en ont exaspéré plus d’un. Mais le même homme a écrit une lettre apostolique Desiderio desideravi consacrée aux beautés de la liturgie et considérait que les médecins avorteurs étaient des « tueurs à gages ». Personnage complexe, donc paradoxal. La question est de savoir si le paradoxe est une vertu dans le gouvernement de l’Église ?
Peut-être plus que pour tout autre pape, il est sage de suivre le conseil de Louis XIV qui recommandait « d’être maître de ses ressentiments » et, donc, de rester dans une certaine retenue, dont l’immédiateté médiatique nous prive. Le pape est mort, vive le pape. Et retenons l’image surprenante de Trump et Zelensky, installés de façon impromptue sous la toile du Baptême du Christ d’après Marata, dans la basilique Saint-Pierre, pour rechercher la paix sous le regard du prince de la paix.
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