[CHRONIQUE] Trump : la diplomatie de la canonnière
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Ce qui s’est passé dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, au su et au vu du monde entier, le 28 février, a frappé de sidération beaucoup de responsables politiques et de journalistes. Ce genre de discussion musclée entre chefs d’État se déroule généralement dans le huis clos de cabinets discrets fermés par de doubles portes et les diplomates expliquent ensuite que l’entretien s’est déroulé dans une ambiance franche et sans concessions. À l’évidence, cette publicité n’était pas le fruit du hasard mais répond à une volonté du président américain d’imposer un nouveau mode de relation interétatique, clair, franc mais aussi brutal voire violent.
Pourquoi ? Il existe certainement un ressentiment ancien à l’égard de Zelensky, soupçonné d’avoir fait le jeu du clan Biden, mais il ne faut jamais oublier que Trump a déjà exercé un mandat présidentiel et qu’il a constaté combien le système, l’État profond, une partie du monde médiatique, pouvaient se mobiliser pour faire échouer, contrarier, retarder les politiques engagées par un président qui entend justement bousculer l’establishment. Il en a conclu que pour être efficace et faire respecter le choix des électeurs, il fallait agir rapidement, brutalement et sans concessions. Certains commentateurs superficiels prétendent qu’il utilise des méthodes de chef d’entreprise à la recherche d’un deal. Rappelons que le mot deal signifie simplement « accord » et que le but de toute diplomatie est de parvenir à des accords. En l’occurrence, Trump veut sans doute plus imposer un accord que l’obtenir par la douceur. Mais en vérité, l’histoire des relations internationales n’est jamais que l’illustration de la morale de la fable : « La raison du plus fort est toujours la meilleure. »
En outre, Trump tire les conséquences de la nouvelle situation du monde, et contribue aussi à la créer. Le multilatéralisme a démontré ses limites et accumulé les échecs. S’en remettre à des institutions internationales et à des cénacles de hauts fonctionnaires et de puissances financières pour gouverner le monde, à l’abri du regard des peuples, ne fonctionne pas. En quarante ans, les guerres se sont multipliées dans le monde : au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe. Quelle a été l’efficacité de l’ONU ou de l’Union européenne ? Vouloir faire fi du poids de l’histoire et de la géographie, vouloir ignorer les vieilles nations ne mène qu’à la catastrophe.
Une méconnaissance grave de l'Histoire
En politique, l’inculture historique n’est pas une lacune, c’est une faute. L’Ukraine, avec son histoire complexe et ses frontières mouvantes, en a fait les frais et en fera les frais. Si la responsabilité de la Russie dans la guerre est évidente, les États-Unis et l’Union européenne ne sont pas non plus exempts de tout reproche. Avoir fait semblant de croire qu’il n’existait presque aucune histoire commune entre la Russie et l’Ukraine était absurde, et avoir obstinément négligé le sentiment russe était d’une imprudence folle. L’Union de Pereïaslav de 1654 fit passer l’Ukraine sous suzeraineté russe, puis la Grande Catherine intégra la rive droite du Dniepr à l’Empire. Czar de toutes les Russies signifiait czar de la Grande Russie, celle héritée d’Ivan le Terrible et Pierre le Grand, de la Russie blanche, la Biélorussie, et la petite Russie, l’Ukraine. Au moment de la terrible révolution russe, ce sont les républiques soviétiques de Russie, Biélorussie et d’Ukraine qui ont créé l’Union soviétique. Faire semblant de croire que tout cela n’avait pas existé était le meilleur moyen d’arriver à la guerre.
Au moment de l’implosion de l’URSS, les États-Unis avaient donné des assurances verbales quant à l’extension de l’OTAN vers l’est qui n’ont pas été respectées (« Not one inch eastward », 9 février 1990, Baker, Gorbatchev, Chevardnadze, National Security archive, George Washington University), loin d’aider la Russie qui se débattait dans une situation politique, sociale et économique terrible pour le peuple, les pays occidentaux se sont rués pour se partager les dépouilles de l’ex-URSS, les révolutions « de couleur » ont été soutenues et encouragées par les États-Unis comme l’UE, les accords de Minsk, de l’aveu même de François Hollande, piégé par des humoristes russes, étaient conçus par Angela Merkel et lui pour gagner du temps et permettre à l’Ukraine de se rétablir et de « renforcer ses moyens militaires ».
Talleyrand avait dit : « Je connais mille manières de faire sortir l’ours russe de sa tanière, je n’en connais aucune pour l’y faire rentrer. » Les Occidentaux auraient mieux fait de méditer cette phrase avant de tenter de berner une Russie post-soviétique qui ne reçut que des rebuffades. L’infortunée Ukraine en paiera le prix, sur le plan territorial comme sur celui de la maîtrise de ses ressources naturelles. L’agitation de la vieille Europe, qui ne peut même pas assurer sa propre sécurité sans les États-Unis, est pitoyable. Le Royaume-Uni et la France auraient mieux fait de se souvenir qu’en 1914, l’Empire de Nicolas II était leur allié et que l’impératif, une fois la Russie débarrassée du communisme, aurait dû être de ramener celle-ci dans le concert des nations européennes.
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67 commentaires
Très bon résumé…. qui résume ce que pensent en majorité les commentateurs de BV depuis 3 ans.
On entend souvent dire , dans des comparaisons historiques absurdes , nous voilà en 1939 .
Hitler à l’époque a mis quelques mois pour ravager et conquérir une partie de l’Europe , de nos jours Poutine patine en Ukraine depuis trois ans , comme si Hitler à l’époque, en trois ans n’avait réussi qu’à reconquérir l’Alsace Lorraine .
M. Trump doit s’occuper des USA. Il a beaucoup de travail devant lui pour dégraisser le mammouth avant qu’il ne se rebiffe. Il n’a pas de temps à perdre avec les boulets légués par Biden, sont le fils était au conseil d’administration de la société Burisma. L’Ukraine a perdu la guerre, M. Trump en est bien conscient et préfère que la responsabilité en retombe sur son prédécesseur. De son côté, Zelenski a fait voter une loi qui lui interdit de négocier. Le dialogue de sourd était assuré. Zelenski a fait le malin et le ton est monté. Du coup, dehors, pas de conférence de presse, pas de dîner d’honneur, dehors.
D’un autre côté, cela l’arrange. S’il avait négocié, ses amis ne lui auraient peut-être pas pardonné.
Ce n’ est pas seulement l’ Ukraine qui a perdu la Guerre, c’ est l’ OTAN…….
Excellent article ! MERCI.
J’ajouterai que la Rus’ de Kiev et son baptême par saint Vladimir sont aussi le fondement de l’Histoire de la Russie et de son peuple.
Ce sont les descendants de saint Vladimir qui furent les princes régnants des grandes villes de l’empire russe.
La religion chrétienne indivisée du premier millénaire a marqué la civilisation de l’Europe toute entière, Russie comprise.
Cela aussi doit rester bien présent dans nos mémoires
Alain Bauer ne disait pas autre chose chez CNEWS à 12h invité de Sonia Mabrouk.
Et bientôt on ira dire aux Baltes qu’ils devraient reconnaître leur éternelle sujétion à la Grande Russie? Et à la Pologne qu’elle devrait plier le genou? Et l’on répètera à l’Assemblée nationale: « L’ordre règne à Varsovie! » Pas honte, non? Vous parlez d’histoire? La « Prison des peuples », voilà ce qu’a été trop longtemps la Russie comme le reconnaissait Lénine lui-même en 1914 dans un éclair de lucidité, reprenant ainsi le mot de Custine qui décrivait justement l’Empire russe comme une vaste prison. Les fantasmes de geôlier de Vladimir Poutine ne méritent certainement pas d’être crédités de la moindre légitimité et surtout pas de cette sorte de respect craintif qui s’épanouit aujourd’hui chez les Poutinolâtres à la mémoire historique de poisson rouge.
» l’impératif, une fois la Russie débarrassée du communisme, aurait dû être de ramener celle-ci dans le concert des nations européennes. » Pas possible, le patron US nous l’a interdit.
Le seul symbole fort n’est pas de dire que le nucléaire français va changer de doctrine et désormais considérer les frontières de l’UE comme zone d’intégrité territoriale.
Non, le geste fort est d’appeller Monsieur Poutine et de lui dire que l’on construit Nord Stream III, et que nous étudions des contats d’affaires européens sur le territoire Russe, ainsi que des échanges culturels entre l’UE et la fédéreation de Russie.
Occupé à celà, et satisfait de ne plus être banni, alors le Kremlin réfléchira autrement, et pourra se battre pour dominer économiquement le marché Moldave, plutôt qu’envahir le territoire par ses chars, et pourra également soutenir le personnage politique qu’il veut. Si l’UE est si sûre et si forte, alors l’UE doit également mettre la démocratie sur la table et donc, le combat qui va avec. Ou bien l’UE aurait-elle déjà la certitude que des élections libres en Moldavie auraient un Résultat pro-russe ? Soyons lucides sur ce qu’il se passe en Roumanie.
La force armée européenne qu’implore Monsieur Servant sur LCI, hier soir, n’existera pas dans 3 ans. Ni jamais. 1 millions de soldats et l’équivalent de 5000 têtes nucléaires à opposer à la fédération de Russie ? Car c’est ce qu’aura la fédération de Russie dans 3 ans.
En revanche, une réconciliation dans un but de prospérité peut ouvrir d’autres perspectives.
Les territoires conquis deviennent officiellement Russes, l’Ukraine devient un pays neutre et sans armée, dans lequel l’UE, la Russie et les USA investissent, et dans lequel on laisse la démocratie s’exprimer. On aura des alternatives de gouvernements pro-ouest et pro-est, on ira de gauche à droite, rien d’anormal.
Chacun reconnaisasnt ses échecs et ses fautes, à commencer par la France et l’Allemagne avec Minsk1 et Minsk2, ainsi que le format normandy.
De toute évidence, un travail n’a pas été fait pour animer le format normandy, tel qu’il aurait dû l’être.
La culpabilité politique de la France est relative, mais réelle, et partagée.
Et si l’UE tient vraiment à intégrer l’Ukraine alors il faut qu’elle intégre la fédération de Russie en une Fédération économique Europénne continentale.
Ca c’est un projet, capable, dans 5 ans, de concurencer les USA et la Chine, voire d’en dominer les marchés. Et doté d’une influence diplomatique planétaire extraordinaire.
L’UE a démontré qu’elle ne peut pas être politique, ni militaire. Ce là fait 20 ans qu’elle y travaille en vain, et les peuples ne le veulent pas. En revanche, sa seule sortie par le haut est économique. Sinon elle se disloquera et sera en permanence en tension armée de défense.
Pourquoi LCI ne laisse développer que des propos questionnant le conflit armé, comme seul et unique avenir des résidents de l’UE ?
Par posture morale ?
C’est moral d’encourager une génération entière à aller possiblement se faire tuer dans les tranchées d’une région ravagée et qui serait discutée, ou du moins en tension belliciste, ad vitam eternam?
Je crois que c’est la prospérité qui réjouit le coeur de l’homme, qui l’épanouit, le fait se dépasser, qui l’appaise, et le fait se réconcilier, plus que les fusils.
Déplaçons Bruxelles et Strasbourg à Kiev, créons une super puissance économique continentale Européene. Soyons imaginatifs, modernes et ambitieux. Et, à l’unissons des MAGA, pensons aussi à nous mêmes, en dehors de ce monde « UE » de bisounours capables de rien, si ce n’est de réagir avec les mêmes prismes qu’au siècle passé.
Faisons nous les amis qui peuvent l’être naturellement, et orientons nos armes vers la menace réelle et identifiée.
Nous sommes beaucoup, ici, avec ces articles et ces posts, à penser dans le même sens. Celui, nottament, de l’Histoire.
Mais cela ne suffira pas. Les réseaux sociaux et Internet ne suffiront pas. Poster ici et partout ailleurs ne suffira pas à infléchir la trajectoire catastrophique que les dirigeants de l’UE s’apprêttent à tracer, sans l’avis des peuples, et même en partie contre.
Il nous reste la rue. Mais c’est moins confortable que de saisir des belles phrases sur son smartphone ou son ordi. Et pourtant … « Liberté, j’écris ton nom … ».
« sa seule sortie par le haut est économique. » Un doux rêve. On n’a jamais développé une économie en multipliant les règlementations, comme si bien fait en URSS.
Vous retardez de 30 ans. La Russie de 2025 n’est pas l’URSS.
La canonnière? Avec quel argent construire une Armée? Les intelligents macroniens ignorent ce point de détail.
Au moment où Trump milite ouvertement pour la paix par des moyens peut être contestables , nos moins que rien de Européens s’agitent pour remettre du feu sous la marmite , car eux , ne parlent pas de paix , mon dieu en parler c’est être pro-Russes et moi je le suis .
Souvenons nous d’un sommet du G8 en 2007 au cours duquel Sarkozy et Poutine ont eu un entretien privé. L’état d’hébétude dans lequel les journalistes ont trouvé le président français à l’issue de cet échange hors des caméras a vite donné à comprendre à tout le monde que le donneur de leçons français avait sans doute été remis à sa place avec beaucoup moins de ménagement qu’il en attendait eu égard à son rang. Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. Les prétentieux de tous poils ont trop tendance à l’oublier.
Il me semble que l’on tire des conclusions et non des conséquences. Dites moi si je me trompe…
Ce que vous écrivez n’est que partiellement exact car vous oubliez volontairement ou non la période entre 2013 et 2022. Pendant cette période exécrable agitée politiquement et socialement certaines « élites » ukrainiennes, bien aidées par l’étranger UE et USA, ont voulu déstabiliser le pouvoir en place, rejeter le fédéralisme naturel du pays et s’attaquer aux caractéristiques particulières des populations de la partie la plus riche du pays: le Donbass minier et industriel. Pour ce faire, avec la « bénédiction tacite » de leurs tuteurs de l’étranger, ces élites n’ont pas hésiter à livrer une véritable guerre civile en bombardant, tuant et assassinant plus de 15.000 de leurs concitoyens, femmes et enfants compris, russophones et orthodoxes moscovites. C’est pourquoi pour s’auto- défendre les populations concernées se sont constituées en milice et ont déclaré les deux oblasts de Lougansk et de Donetsk « républiques indépendantes », tout en demandant l’aide à leur « grand cousin voisin » la Russie. Et celle-ci, voyant la pression incessantes des gouvernements kiéviens, a décidé de venir en aide à ces républiques indépendantes directement, en les reconnaissant parties intégrantes de la Fédération de Russie et en déclenchant le 24 février 2022 l’opération militaire spéciale. Ce qui, tout compte fait, n’est qu’un légitime retour qu’il ne convient pas de nier ou d’occulter.
Vous avez bien décrit la réalité. Merci.
Ce qui valait motif légitime et dispensant de tout mandat de l’ONU à l’intervention d’une coalition occidentale en Yougoslavie ne vaut plus rien dés lors que ce sont les Russes qui viennent au secours de populations en danger. Pétri de valeurs à géométrie variable et partisanes, l’occident n’en finit plus de se déconsidérer aux yeux d’un vaste monde qui le voit dépérir aussi bien moralement qu’économiquement.
« La responsabilité de la Russie dans cette guerre est évidente », dites-vous. Heureusement, tout votre article démontre le contraire. L’après-guerre n’a été que provocation voulue par les USA, qui eurent le grand tort de croire qu’avec un Yeltsine sous vodka soir et matin, la Russie en loques pourrait être contrôlée, sinon dépecée à l’envi. Le deuxième grand tort: les Ukrainiens (mais avaient-ils réellement leur mot à dire?) – est d’avoir mis un clown genre Beppe Grillo au pouvoir: dans tous les cas, l’absence de tout sens politique fait que ce genre de dirigeants roule toujours pour autrui; ici pour une puissance étrangère, USA-Otan. Troisième grand tort: l’UE, qui a cru aux fables Démocrates US de Biden, et qui, ignorant De Gaulle -« De l’Atlantique à l’Oural » – a choisi l’Ukraine au lieu du gigantesque potentiel commercial et économique russe. Pour ce faire on a un peu aidé l’Allemagne à comprendre, qui avait, elle, intelligemment choisi les investissements de ses voisins à l’Est, en lui sabotant le pipeline Nordstream. Le dernier grand tort, militaire US: n’avoir pas vu que Yeltsine était remplacé par un grand dirigeant – oui, grand, et c’est lui qui restera dans l’Histoire comme un Churchill – soucieux de la grandeur de son pays, qui s’est employé avec une détermination peu commune et sans faille à le rétablir dans toute sa puissance. La provocation de trop, et voilà où la sottise de l’Occident nous a menés. Des morts innombrables, trois, dans quel but pour l’Ukraine, sinon que Russie et USA) a vont faire main basse sur les terres rares, et la France (pas désintéressée pour le moins) qui guigne le graphite (mine de Zavallia Kirovohrad). Ce que Poutine fait, nous l’avons très largement semé. Quelqu’un va devoir payer, a commencer par l’Ukraine, parce qu’il est une évidence, que l’UE fait encore semblant de ne pas voir: l’Ukraine a perdu la guerre; sans appel (ce n’était pas plus gagnable que l’Argentine contre l’Angleterre, aux Malouines).
Trump est un pragmatique et non un idéologue hors sol. Il ne se trompe pas d’ennemi, lui, contrairement aux bellicistes qui gouvernent l’Europe.