Ciné : dernière séance pour Le Bretagne, l’une des vieilles salles parisiennes

Cinema

Le cinéma Le Bretagne, à Montparnasse, d’une capacité de 850 places, était la troisième plus grande salle de cinéma de Paris, après Le Rex et l’UGC Normandie. Le 14 novembre dernier, comme dans La Dernière Séance, la si belle chanson d’Eddy Mitchell, le rideau a fini par tomber pour de bon sur l’écran. Le film projeté ? The Marvels, une niaiserie super-héroïque, projetée devant… trois spectateurs. Dire que, pour son inauguration, le 27 septembre 1961, on y donnait Le cave se rebiffe, de Gilles Grangier, avec Jean Gabin, Martine Carole, Maurice Biraud et Bernard Blier. Tout un symbole.

Jean-François Chaput, dans son très beau livre Paris-Cinés (Snoeck), se souvient : « Entre 1982 et 1992, plus de cent cinémas ont fermé leurs portes à Paris. Il y en avait encore 223 en octobre 1981, il en restait 99 à la fin de l’année 1992. Soit 124 fermetures en onze ans. » En 2017, ils n’étaient plus que 88. Certes, ils totalisent 420 écrans, règne des multiplexes oblige ; mince consolation, dira-t-on.

Bonbons, velours cramoisi et ouvreuses : une époque révolue

À croire qu’il est bel et bien fini, ce règne des grandes salles dans lesquelles le peuple de Paris se ruait en masse voir de grands films fédérateurs, le dernier Bébel ou le nouveau Fufu. Maintenant, l’époque serait plutôt au cinéma de niche, aux petits films diffusés dans de petites salles à peu près aussi spacieuces qu’un carton à chaussures, avec des écrans tout justes plus grands que la dernière télé à écran plat.

Sans compter ceux qui, au lieu du cérémonial de jadis (ouvreuses, Chocoletti™ et bonbons de La Pie qui chante™, rideau de velours cramoisi et lumières qui s’éteignent doucement), préfèrent se gaver de séries Netflix et de sushis livrés à domicile par ces esclaves des temps modernes que sont ces immigrés clandestins pédalant par tous les temps, qu’il vente ou neige. Bref, le cinéma n’est plus la fête qu’il fut autrefois.

La vie de Joseph Rytmann : de quoi faire un biopic

Pourtant, de la vie du fondateur du Bretagne, Joseph Rytmann (1903-1983), un immigré juif venu de l’actuelle Biélorussie fuyant les pogroms locaux, on aurait pu faire un film. À en croire Axel Huyghe, auteur d’une remarquable biographie, Rytmann, l’aventure d’un exploitant de cinémas à Montparnasse, préfacée par Claude Lelouch (L’Harmattan), notre homme arrive dans la capitale à la fin des années vingt, commence par travailler dans le bois et le textile, avant d’acheter, en 1933, son premier cinéma, Le Miramar, à Alésia.

Puis arrive la Seconde Guerre mondiale et il doit aller se réfugier en zone libre, dans la France de Vichy. À la Libération, il récupère enfin son bien et commence à bâtir son propre petit empire. Sachant que les Champs-Élysées et les grands boulevards abritent déjà des dizaines de salles, il jette son dévolu sur Montparnasse, moins bien loti en matière de septième art, et qui est aussi le quartier des Bretons. D’où le nom de Bretagne qu’il donne à ce cinéma, en hommage à ces nouveaux voisins. Puis il rachète encore d’autres salles, dont, entre autres, le Bienvenue, le Montparnos et un nouveau Miramar.

Tôt surnommé « L’Empereur de Montparnasse », Joseph Rytmann est connu pour son caractère rugueux, auquel vient s’ajouter un indéniable sens des affaires. La preuve en est que son biographe note, admiratif : « Le Bretagne était ce qu’on appelait, dans le jargon, un cinéma d’exclusivité, il ne projetait que des films nouveaux. À l’époque, c’était rare. Il y avait les salles d’exclusivité, puis ceux qui faisaient de la seconde exclusivité avant la sortie générale. »

Il continuera de travailler d’arrache-pied jusqu’à sa mort, en 1983, léguant le fruit d’une vie à sa fille, Benjamine Rytmann-Radwanski, née en 1928 et décédée cette année. Malgré une énergie hors du commun, héritage paternel sans nul doute, elle avait compris que l’heure n’était plus aux petits propriétaires indépendants mais, désormais, aux consortiums mondialisés. Et c’est ainsi que, la mort dans l’âme, elle avait fini par se résoudre à la triste réalité, vendant toutes ses salles à Jérôme Seydoux, le patron du groupe Pathé.

Une fois de plus, c’est un pan entier du Vieux Paris qui s’en va. On n’ose imaginer par quoi il sera remplacé. Surtout si Anne Hidalgo prend le dossier en main.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 19/11/2023 à 13:50.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

18 commentaires

  1. Je me souviens des grands cinémas du Boulevard de Clichy où papa nous emmenait, entre 1961 et 67, voir les « grands films » : canons de Navaronne ; Spartacus; 317ième section ; pont de la rivière Kwai…Toute une époque ! Plus tard (1968 à 72, la cinémathèque et les salles plus intimistes du 14ième et 15ième arrondissement (st Lambert)

  2. Une boite à souvenirs de l’ancien monde. Je crois sauf erreur qu’il était même possible d’y fumer en regardant le dernier Delon . L’article permet comme d’autres de mesurer le fossé qui nous sépare ente la pourriture actuelle et le monde que nous avons connu.

  3. Si les spectateurs préfèrent Netflix, c’est entre autres aussi dû à l’indigence du cinéma actuel.
    La télévision n’offre que des séries et films policiers tournés par des acteurs devenus fonctionnaires du petit écran
    J’ai la chance de vivre dans une ville qui subventionne deux cinémas dont un art et essais et où la carte d’abonnement met la place à six euros (difficile certes de rivaliser avec Netflix)
    Mais les propositions de films sont tellement navrantes par leur bien pensance et leur propagande LGBT, inclusivité et tout le tralala, que le choix reste restreint.
    Restent les films étrangers non contaminés, mais ce n’est pas tous les jours.

  4. Tous ces acteurs et actrices « de gauche » évidemment, et tous les professionnels qui les entourent, tout ce monde d’entre soi woke shootés aux subventions, ont tué le rêve, donc le cinéma, Sy Sy… Entre autres.
    Plutôt que de s’occuper de politique du wokisme, ou de deconstruction, ils/elles feraient bien mieux de se concentrer sur ce que les subventions leurs donne la possibilité s’épanouir et devenir « des grands du cinéma », pas des journalistes bobo-gaucho à la petite semaine !

  5. Pour ceux qui ne sont pas fanatiques des transports en commun (il en reste !), rappelons que pour qui veut aller au cinéma à Paris, le stationnement coûtera plus cher que la place dans la salle…

  6. Le dernier film Français que j’ai dû voir en salle lors de sa sortie, ça doit être Ripoux de Claude Zidi avec Philippe Noiret et Thierry Lhermite ! Sauf erreur le film est sorti en 1983…
    Pour ce qui est du cinéma américain le dernier film que j’ai vu au cinéma à sa sortie c’est le James Bond, Spectre, qui était particulièrement tristounet. Fini l’humour coquin ! Le héros séducteur qui manie aussi bien son Walther PPK que la répartie !
    La moraline à deux balles détruit tout ! Le cinéma n’est plus là pour tout simplement distraire et faire passer un bon moment, mais pour faire réfléchir ! Autrement dit pour rééduquer ce populo qui pense mal.
    Dans ce domaine le cinéma (sic) ,où plus exactement ce bidule qui ose se prétendre être encore du cinéma, pulvérise tous les records de politiquement correct et de co…rie en France ! Le statut des intermittents et le système d’avances sur recettes inventés par le calamiteux Jack Lang, permettent à tous les premiers petits militants d’extrême gauche venus et qui sont incapables d’avoir un véritable métier dans la vie, de se prétendre artiste et de vivre aux crochets du contribuable.
    Le film avec Camélia Jordana sur l’inénarrable famille Traoré sorti ces jours-ci, illustre admirablement cela. Il sera retiré de la projection avant même que la colle des affiches ait finie de sécher. Ce nanard politique sera diffusé dans quelques mois sur Arte et sur France 3.

  7. Qui va encore au cinéma voir des navets et en risquant sa vie à la sortie tardive….Attention aux morsures nocturnes des surmulots.

  8. Je me souviens encore de la sortie en famille pour aller voir South Pacific. À présent, le cinéma ne m’attire plus. Trop de violence, trop de propagande, trop de sexe, trop de vulgarité. Pour passer un bon moment je puise dans ma collection de DVD.

  9. J’imagine que Monsieur Eddy ne faisait pas partie des 3 spectateurs… pour lui, en particulier, ce doit être un crève-cœur de voir disparaître tous ces lieux chargés d’histoire et lourds de traditions familiales, amoureuses ou « d’entre copains »…

    • Le Bretagne c’est vraiment un symbole de Montparnasse comme la Rotonde ou la coupole. Pourquoi ne pas en faire une salle de spectacle ?Le quartier n’est pas trop pourvu de grandes salles
      J’ai dû voir un film dans cette salle peut être »
      Le Casse » .

  10. Aujourd’hui, le travailleur habite en grande banlieue et les transports l’invitent à ne pas trop tarder dans la capitale s’il ne veut retrouver son foyer. Le travailleur a été remplacé par l’intello qui préfère l’entre-soi à la rencontre avec l’autre.

  11. Combien de bons films projetés ces dernières années qui vous donneraient envie d’aller au ciné …….je cherche mais je ne trouve pas . Et combien de navets qui se font grâce aux subventions mais qui n’attirent pas de public . De plus sortir le soir devient dangeureux , on se contente donc de la télé ou l’on peut visionner de bons vieux films en toute sécurité .

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