[CINÉMA] À bicyclette ! un docu « fictionnant » sur le deuil et l’amitié

À l’origine de ce projet hybride, une tragédie personnelle.
A BICYCLETTE

Curieux objet cinématographique que nous avons là. Ni tout à fait un documentaire, ni tout à fait une fiction, À bicyclette !, second film en date du comédien-réalisateur Mathias Mlekuz après Mine de rien, sorti en 2020, joue sur les deux tableaux et brouille volontairement la frontière auprès du spectateur.

À l’origine de ce projet hybride, une tragédie personnelle. Celle du suicide, en septembre 2022, de Youri Mlekuz, fils du cinéaste, pour des raisons qui échappent encore à ses proches.

À des fins cathartiques, voire thérapeutiques, le père, encouragé par ses producteurs, a décidé de refaire à vélo le long périple qu’avait entrepris Youri, quelques années auparavant, entre La Rochelle et la Turquie, et d’immortaliser son projet à travers un film.

Un dispositif original de mise en scène

Un an, jour pour jour, après le drame, soit le 24 septembre 2023, Mathias Mlekuz démarrait donc son tournage à Aytré, en Charente-Maritime, avec son chien à ses côtés. Pour l’accompagner dans son voyage, le cinéaste a, en outre, fait appel à son meilleur ami, l’acteur Philippe Rebbot, habitué aux seconds rôles dans des comédies françaises de qualité diverse. C’est d’ailleurs sur l’une d’entre elles, Nos enfants chéris, de Benoît Cohen, que s’étaient rencontrés les deux hommes, en 2003. Depuis, semble-t-il, ils ne se sont plus jamais quittés.

Plus encadré qu’il n’y paraît, le documentaire auquel nous assistons est rendu possible grâce à une petite équipe de cinq techniciens, à bord d’un camion, qui, jamais, ne sont mentionnés ni n’apparaissent à l’image, laissant au spectateur une fausse impression de solitude des deux têtes d’affiche. Néanmoins, munis de trois caméras et de six néons pour la lumière, les cadreurs et preneurs de son veillent, à tout instant, à capturer en de longs plans-séquences les échanges plus ou moins fructueux, et totalement improvisés, de Mlekuz et Rebbot, lancés avec leur chien dans ce périple européen pour commémorer le jeune disparu.

Un récit sur le deuil et l’amitié

Le cinéaste, avec ce projet, espère, par-delà la mort, se rapprocher de son fils, partager avec lui cette expérience vécue en différé, le voir d’une façon ou d’une autre se manifester à lui, à travers un signe, et peut-être enfin comprendre son geste. D’où l’importance, pour Mlekuz, de faire la connaissance, à Istanbul, de Marzie, cette jeune Iranienne qui fut le dernier amour de Youri, quelque temps avant son décès. Comme le dit lui-même le cinéaste, nul ne sait quel sera le fruit de ce voyage, mais le deuil et l’acceptation en sont les principes moteurs.

Plus qu’un récit sur le chagrin et la perte des êtres aimés, À bicyclette ! se révèle surtout un beau film sur l’amitié. Celle qui nous oblige et nécessite que l’on s’implique corps et âme. Philippe Rebbot, sans saisir pleinement les tourments intérieurs de son camarade, sait que sa présence à ses côtés est requise ; son rôle est de lui prêter l’oreille et, si besoin, de l’aider dans sa réflexion. Leur amitié n’en sortira que plus forte.

Les contreparties du dispositif

Improvisé à quatre-vingt-dix pour cent, le film ne s’articule pas moins autour d’un récit dont les grandes lignes ont été tracées au préalable. Le discours du début et le texte rédigé par Josef Mlekuz, second fils de Mathias, à la fin, tendent à nous rapprocher de la fiction. Il en va de même du passage à Vienne, largement mis en scène, ainsi que de la rencontre avec Marzie, initialement prévue en extérieur, à la frontière turco-iranienne. Le caractère spontané de la démarche documentaire en prend un sérieux coup. La gêne survient véritablement lorsque le cinéaste se fait filmer en larmes dans l’église Matthias de Budapest ; l’événement a-t-il été calculé, se demande-t-on alors ? Et si oui, est-ce bien moral, compte tenu du sujet ? Est-ce même, simplement, de bon goût ?

Quoi qu’il en soit, si la démarche initiale de ce documentaire manque de pudeur, son contenu, à quelques exceptions près, se montre rarement impudique. Nous sommes passés à deux doigts de la catastrophe.

 

3 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

Un commentaire

  1. C’est intéressant les critiques cinéma mais il faudrait surtout le faire avec le cinéma populaire, ou plutôt sur les films qui font l’objet d’une offensive marketing. Dans un mois sortira une adaptation de la bande dessinée Natacha, intitulée Natacha presque hôtesse de l’air. Sera-t-elle dans la même lignée que les ratés des autres adaptations précédentes de BD, attendons la réponse de BV.

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