Cinéma : A Chiara, la cellule familiale au cœur de la mafia calabraise

a chiara

Jeune Calabraise, Chiara réside avec sa famille dans la petite ville portuaire de Gioia Tauro, connue dans l’opinion publique italienne pour sa criminalité et son trafic de stupéfiants.

À quinze ans seulement, l’adolescente partage dans l’insouciance les préoccupations des filles de son âge : les réseaux sociaux, les sorties entre amies, la fête, et tout ce qui peut l’écarter de la discipline parentale (consommation d’alcool, de cigarettes…).

Lorsque la famille se réunit en grande pompe pour fêter les dix-huit ans de sa sœur – une séquence qui n’est pas sans évoquer les débuts du Parrain –, Chiara ignore encore la teneur profonde des liens qui unissent tout ce petit monde. Le lendemain, son père Claudio disparaît précipitamment après une courte dispute avec sa mère et sa voiture est incendiée devant la maison. Chiara apprend alors par Internet que, dorénavant en cavale, il est soupçonné d’appartenir à la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, et serait à la tête d’un trafic de drogue. Une découverte qui va irrémédiablement bouleverser son existence.

Dans sa recherche de la vérité, la jeune fille se heurte très vite au mur du silence, celui de sa mère, comme de sa grande sœur. Dans une région dont les clans mafieux, plus qu’ailleurs, reposent sur les liens du sang et revêtent un caractère familial, tout le monde se tait et approuve/accepte tacitement le mode de vie du père, du frère, de l’oncle ou du cousin. D’où la difficulté pour Chiara de démêler le vrai du faux concernant les activités de son paternel ; et l’incapacité, plus largement, des autorités à faire parler les individus, qui refusent bien souvent de mettre en cause les membres de leur propre famille. C’est pourquoi les Calabrais sont généralement moins enclins à recourir au statut de repenti que les Siciliens de Cosa nostra ou que les Napolitains de la Camorra.

Avec A Chiara, le réalisateur Jonas Carpignano excelle à filmer la cellule familiale au sein de la mafia calabraise, son environnement socioculturel (déplorable) et l’impossibilité pour les jeunes de s’en extraire autrement que sur décision de justice. En cela, la séquence où, à mi-parcours du récit, les services sociaux décident d’éloigner Chiara de ses proches et de la placer en famille d’accueil à Urbino – pratique courante en Italie, depuis 2011, qui vise à protéger les enfants du milieu criminel dans lequel ils ont grandi – est à envisager avant tout comme une tentative de sauvetage, une occasion inespérée pour l’adolescente.

Cependant, digne fille de son père, Chiara échappe un temps à la surveillance des autorités, s’enfuit et parvient à retrouver Claudio pour une ultime confrontation mi-figue mi-raisin où mensonges et justifications se mêlent afin de l’amadouer et de sauver ce qui peut l’être.

Le film a pour lui plusieurs atouts : un casting amateur composé, par souci d’authenticité, de membres d’une même famille, les Rotolo ; une actrice principale au regard intelligent, scrutateur et accusateur à la fois ; et une mise en scène naturaliste, tout en sobriété, qui, à l’image d’un Gomorra, évite soigneusement les plans chocs, les effets de style et les clichés inhérents au film de gangsters.

Si l’on s’agace des choix musicaux de mauvais goût, à base d’Auto-Tune et de hip-hop italien, force est d’admettre que ceux-là correspondent à l’imaginaire culturel du milieu dépeint…

4 étoiles sur 5.

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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