[Cinéma] About Kim Sohee : une charge contre l’esclavage moderne en entreprise

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Élève en lycée agricole, Kim Sohee (incarnée à l’écran par Kim Si-eun) obtient un stage de fin de cursus dans un centre d’appel qui officie pour Korea Telecom, un opérateur téléphonique de premier plan en Corée du Sud.

Vive, dynamique, la jeune fille ne manque ni de motivation ni de caractère. Pourtant, au fil des mois, son moral va chuter de façon radicale sous le poids des conditions de travail et des exigences de ses employeurs… Cyniques à l’égard de leurs clients, qu’ils encouragent à harceler au téléphone, les managers donnent pour directive aux opératrices de les dissuader jusqu’au bout de résilier leur abonnement, quitte à leur faire miroiter de nouvelles offres, plus avantageuses. De longs bras de fer téléphoniques s’étalent parfois sur plusieurs dizaines de minutes et donnent lieu à des échanges tendus où les clients, excédés de ne pas obtenir ce qu’ils souhaitent, en viennent aux insultes ou aux menaces.

Composées essentiellement de stagiaires sous-payées, en renouvellement permanent, les équipes cumulent les heures supplémentaires et travaillent sous pression, la direction cherchant à les faire craquer avant le terme de leur contrat pour ne pas avoir à leur donner l’intégralité de leurs gages.

Suite à une série d’incidents suspects dans l’entreprise, les autorités locales se décident enfin à mener une enquête. L’inspectrice Oh Yoo-jin (Bae Doo-na, récemment vue dans Les Bonnes Étoiles) découvre alors l’envers du décor et met au jour un système global guidé par la tyrannie des chiffres et des statistiques, qui n’épargne ni le monde de l’entreprise, ni la police, ni même les établissements scolaires, peu regardants sur les emplois des élèves en stage du moment que leur taux d’insertion professionnelle est satisfaisant et garantit au lycée de nouvelles inscriptions et, par conséquent, le soutient de l’État…

Tiré de faits réels survenus en 2016 dans la petite ville de Jeonju, en Corée du Sud, About Kim Sohee, de July Jung, dresse un état des lieux alarmiste des sociétés modernes, qui se déshumanisent à mesure que se développe la tertiarisation du travail et que se créent des emplois toujours plus instables, sous-payés, ineptes et inutiles à la communauté. Une charge féroce contre l’esclavage moderne en entreprise où, finalement, le bien-être du salarié n’est plus qu’une variable d’ajustement parmi d’autres dans un système économique qui ne jure qu’en termes de gains et de « maximisation des profits ». D’où, naturellement, l’émergence de statistiques individuelles pour chaque salarié, de notations qui visent, sous couvert « d’émulation », à la concurrence entre collègues, au flicage collectif et à la culpabilisation, par les principaux intéressés, de ceux qui ralentissent le groupe dans la poursuite de ses objectifs.

Le film de July Jung rappelle évidemment le cinéma de Ken Loach et prouve, s’il en était besoin, que les inquiétudes relatives aux évolutions du monde du travail ne sont pas le propre de « l’Occident bourgeois », la Corée du Sud ayant largement développé ses services à partir des années 1990 et adopté les mêmes travers que ses modèles américain et européen.

Construit en deux segments bien distincts, le récit supporte difficilement le passage de l’un à l’autre, laissant une impression désagréable de mollesse au milieu de l’histoire, comme si son moteur prenait le temps de redémarrer. Cependant, l’opiniâtreté et la colère de l’inspectrice Oh Yoo-jin – liée scénaristiquement de façon un peu trop artificielle à Kim Sohee – rattrapent vite le spectateur et permet avec finesse d’élargir la focale du monde de l’entreprise à l’ensemble de la société.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Cela me fait penser au film « Metropolis » de Fritz Lang (1927) ! Visionnaire ! Ce qui peut nous attendre ! Effrayant !
    Je pense aussi au roman de Jack London « le monde d’en bas » en 1912 ! Aussi effrayant !
    Cela ne nous rassure pas pour nos enfants et nos petits-enfants !

    • Bonjour ANTISYSTEME59, Effectivement, nous ferions bien de balayer devant notre porte. Mais voyez vous, je me suis trouvé un matin à l’ouverture de Lotte Department Stores à Séoul qui est un peu l’équivalent de nos Galeries Lafayette de Paris en mieux. Un chef de rayon n’avait pas terminer de donner ses ordres à ses vendeuses au garde à vous. Il hurlait en désignant du doigt chaque personne l’une après l’autre. Ceci, plus d’autres expériences dans le pays font que pour la même chose en France, ces genres de « cadres » seraient en prison.

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