[Cinéma] Burning Days, un brûlot contre la corruption des dirigeants turcs

film Burning Day

Jeune procureur fraîchement muté à Yaniklar, ville fictive d’Anatolie, Emre a à cœur de remplir ses nouvelles fonctions avec sérieux et intégrité, en accord avec les lois du pays. Rapidement approché par le fils du maire, qui cherche d’emblée à tester ses limites et à se le mettre dans la poche, Emre comprend que son prédécesseur – disparu du jour au lendemain dans des conditions mystérieuses – a eu maille à partir avec les notables locaux. Un différend qui ne serait pas étranger à leur surconsommation d’eau des nappes phréatiques, laquelle provoque l’apparition de « dolines » un peu partout dans la région : des trous gigantesques de plusieurs mètres de profondeur causés par l’extrême sécheresse des sols, effondrant immeubles et habitations.

Invité un soir à dîner chez le maire, Emre se trouve malgré lui impliqué dans une seconde affaire, plus sordide encore. Saoulé, drogué par ses hôtes, il perd conscience et se réveille le lendemain avec un souvenir confus de la veille. Lorsqu’il apprend qu’une jeune Gitane, présente à la soirée, a été battue et violée, le procureur, malgré le risque potentiel de sa propre implication, entre frontalement en conflit avec le fils du maire dont il cherche dorénavant à prouver la culpabilité.

Avec Burning Days (Kurak Günler, en version originale), le réalisateur turc Emin Alper a peut-être tapé plus juste qu’il ne l’espérait. Pointant le népotisme, la corruption, la démagogie et les méthodes expéditives qui ont cours en Turquie, ce film a déclenché de vives réactions dans son pays ; le ministère de la Culture a exigé de la production le remboursement intégral des aides allouées par l’État au motif que le réalisateur aurait modifié le scénario après sa validation par les autorités. Une assertion que dément fermement Emin Alper. Par ailleurs, cette colère des dirigeants turcs pourrait s’expliquer également par les sous-entendus homosexuels concernant le personnage principal et sa relation ambiguë avec un journaliste venu l’aider dans sa lutte contre la municipalité de Yaniklar.

Quoi qu’il en soit, ce film policier s’avère plutôt de bonne facture, avec ses dialogues tendus, riches de sous-entendus et de menaces à peine voilées. On note en particulier une séquence-fleuve fascinante dans les jardins du maire où le héros devient, le temps d’une soirée, la proie de ses hôtes, tour à tour accueillants, chafouins et vénéneux.

Si le film remplit parfaitement son cahier des charges, le scénario a néanmoins tendance à se disperser, à aborder trop de sujets à la fois, au risque de perdre le spectateur dans une intrigue inutilement alambiquée.

Le réalisateur confie s’être inspiré de la pièce d’Ibsen Un ennemi du peuple. La fin du récit dévoile, en effet, un même dégoût, une même crainte pathologique du populo, réduit un peu trop facilement à une foule manipulable, stupide et sanguinaire, prête à massacrer les innocents au premier malentendu – un lieu commun chez les libéraux, dont le cinéaste fait assurément partie. Une telle vision du monde justifie, ne lui en déplaise, les politiques les plus antidémocratiques….

Ce lynchage final aura au moins l’intérêt de clôturer le film sur un plan symbolique fort qui creuse définitivement un fossé entre des élus corrompus et un héros que la vertu rend décidément insubmersible.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

2 commentaires

  1. Avant de nous intéresser à ce qui se passe chez les autres, commençons donc par balayer devant notre porte !

Commentaires fermés.

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