Cinéma : Caravage, un portrait réaliste, parfois sombre, du célèbre peintre

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En 2020, nous recensions sur Boulevard Voltaire le film biographique d’Andreï Kontchalovski sur Michel-Ange ; une œuvre remarquable sur le plan visuel mais non dénuée de clichés romantiques. Aujourd’hui, c’est au tour de Caravage d’avoir droit à son « biopic ».

Signé Michele Placido, ce long-métrage s’inscrit à merveille dans la carrière d’un cinéaste-comédien qui n’a jamais caché sa fascination pour les scélérats et marginaux de tous poils – on pense en particulier à son Romanzo criminale, grand film baroque sur la voyoucratie romaine des années 70, et à L’Ange du mal, sur le mafieux Renato Vallanzasca.

Si le réalisateur a l’habitude de sublimer la canaille au cinéma, Caravage, nous dit-on, effectuait le chemin inverse, partait de modèles issus des bas-fonds de la société pour brosser dans ses œuvres des personnages bibliques vertueux.

Le récit de Caravage débute en 1609, à Naples, où le peintre s’est réfugié après avoir été condamné pour le meurtre, au cours d’une rixe, de Ranuccio Tomassoni, lié à la maison Farnèse. Protégé par le cardinal Borghese et par de puissantes familles, les Sforza-Colonna, Michelangelo Merisi da Caravaggio, incarné à l’écran par Riccardo Scamarcio, tente alors d’obtenir la grâce du pape afin de revenir à Rome. Seulement, si Paul V reconnaît bien volontiers les talents de l’artiste, il n’ignore pas pour autant les rumeurs qui l’entourent. En effet, Merisi utiliserait des prostituées, des vagabonds et toute la lie de la société pour servir de modèles à ses toiles. Lesquelles, financées par l’Église, ornent les plus beaux édifices religieux du pays ! Pour statuer sur le sort de Caravage, Paul V fait donc appel à un inquisiteur, l’Ombre, chargé d’enquêter sur ses mœurs. Cet « inspecteur Javert de l’Église », intransigeant et raide comme la mort, se plonge alors dans le passé du peintre et interroge ceux qui l’ont côtoyé de près. Un exercice qui risque bien d’ébranler cet homme aux convictions puritaines inaltérables…

Car, au fil de ses investigations, l’inquisiteur prend conscience que la créativité du peintre est mue avant tout par une quête du réel qui passe par les expressions de visage ou la posture des corps. C'est ce qui explique l’utilisation de modèles souvent issus du peuple… Contrairement à ce que pensent ses ennemis, le but de Caravage n’est pas tant de désacraliser les personnages bibliques sur ses toiles que de permettre aux quidams qui visitent les églises de pleinement s’identifier à eux.

Sensible aux pauvres hères qu’il fréquente et emploie pour ses œuvres, l’artiste leur permet en outre de racheter symboliquement une dignité en les intégrant dans une toile représentant tel passage des Évangiles. C’est ainsi qu’il faut comprendre cette séquence où le corps d’une femme noyée dans le Tibre est acheminé jusqu’à l’atelier du Caravage pour servir de modèle à son tableau La Mort de la Vierge. Idem pour ce vieil ivrogne régulièrement sollicité par Merisi afin de prêter ses traits à saint Pierre.

Cherchant l’adéquation avec son sujet, Placido opte naturellement pour une approche « réaliste » de la mise en scène et fait le choix de conférer aux images une esthétique brute, sale, avec des couleurs chaudes et volontairement saturées, conformément à l’idée qu’il se fait de l’époque. Sans doute le cinéaste pousse-t-il un peu trop loin ce parti pris pour être tout à fait convaincant, dérivant par moments du côté de Fellini. La narration du film, quant à elle, structurée par des témoignages et des allers-retours incessants entre passé et présent, perd en fluidité et laisse une désagréable impression de brouillon. À tel point qu’on se demande si le récit n’aurait pas mieux fait de se concentrer sur la figure originale de l’inquisiteur – Louis Garrel, impeccable dans son rôle et, de surcroît, parfaitement à l’aise en italien – plutôt que sur celle, plus archétypale, de l’artiste maudit…

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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