Cinéma : Compartiment N°6, de Juho Kuosmanen

compartiment

Ressortissante finlandaise, Laura étudie l’archéologie en Russie. Fréquentant le monde culturel et universitaire moscovite, la jeune femme, timide et ingénue, semble chercher l’approbation intellectuelle d’Irina, son mentor et professeur de littérature avec qui elle est convenue de se rendre à Mourmansk, sur la côte nord-ouest du pays, observer des pétroglyphes vieux de dix mille ans. À la grande déception de Laura, Irina se désiste au dernier moment et la laisse seule effectuer ce voyage. À bord du train, cependant, l’étudiante fait la connaissance de Ljoha, un jeune mineur russe en quête de travail, avec qui elle se voit contrainte de partager le même compartiment. Les premiers contacts des deux passagers, en effet, s’avèrent pour le moins difficiles, Ljoha carbure à la vodka et se montre grossier à plus d’un titre vis-à-vis de Laura, se gaussant notamment des mots d’usage finnois et lui demandant ouvertement si elle part se prostituer… Ni une ni deux, la jeune femme quitte le compartiment, pleine d’appréhension, et demande à pouvoir en changer, ce à quoi elle se voit opposer un refus catégorique. Le voyage étant parti pour durer, les deux personnages savent qu’ils vont devoir trouver un modus vivendi

Avec Compartiment N°6, coproduction germano-estono-russo-finlandaise, le réalisateur Juho Kuosmanen, que l’on avait découvert avec l’original Olli Mäki, adapte librement un roman de Rosa Liksom paru en 2010 dont il choisit de déplacer l’intrigue de la fin de l’URSS au début des années 2000. Seules une discussion sur le film Titanic et l’utilisation par Laura d’une caméra numérique laissent deviner la décennie durant laquelle se déroule le récit, tant les décors, les vêtements, les personnages mêmes et la bande originale (qui parvient à rendre attrayant l’horripilant « Voyage voyage », de Desireless) semblent figés dans les années 80.

Le road-movie figure parmi les genres cinématographiques les plus enclins aux discours mièvres et sirupeux, Juho Kuosmanen – c’est son mérite – parvient avec sobriété à en éviter les différents écueils. Récit poétique et flottant de deux solitaires qui se reconnaissent l’un en l’autre, se fascinent et parviennent finalement à s’apprivoiser, Compartiment N°6 ne verse jamais dans l’épanchement « Hollywood chewing-gum » et n’entretient aucune illusion sur la durabilité de la relation qu’il met en scène. Réunis par leur voyage et par l’incertitude de leur avenir, c’est un univers entier qui sépare nos deux personnages : Laura (incarnée par Seidi Haarla) est pondérée, cultivée, intellectuellement curieuse, quand Ljoha (Youri Borisov) est impulsif, rustaud et sans doute plus au fait des dures contingences socio-économiques de son temps. Dès lors, aucun miracle à espérer de l’idylle naissante. C’est tout juste si ce voyage permettra momentanément à chacun de tenir compte de réalités qui lui sont étrangères et de s’interroger sur soi. D’où ce passage touchant où, à la fin du récit, Ljoha fait des pieds et des mains pour permettre à sa partenaire de prendre le bateau malgré une météo catastrophique afin d’aller observer de plus près des pétroglyphes dont lui-même ne saisit pas bien l’intérêt. L’occasion, pour Laura, de réaliser que ces instants fugaces partagés avec Ljoha justifiaient à eux-seuls le voyage.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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