[Cinéma] Creation of the Gods, histoire de la Chine contre soft power américain

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En mai 2023, nous publiions, sur Boulevard Voltaire, la critique de Sakra, la légende des demi-dieux, un film chinois réalisé et interprété par Donnie Yen, dont l’ambition assumée était de proposer aux spectateurs un contre-modèle au cinéma américain de Marvel. Ainsi, la Chine se montrait prête à relever le défi de la guerre culturelle face à son puissant rival, visant ouvertement à affirmer la supériorité de sa civilisation multimillénaire. Avec un relatif succès artistique, ce wu xia pian – film de cape et d’épée inspiré du wuxia (genre littéraire apparu sous les Tang, entre le VIIe et le Xe siècle) – s’annonçait comme la première manifestation d’envergure de cette contre-offensive chinoise. La première, semble-t-il, d’une longue série.

Car voici que débarque, sur nos écrans, le premier volet de Creation of the Gods, une trilogie de type heroic fantasy, tournée d’une traite en 18 mois, que la presse nous vend d’emblée comme Le Seigneur des anneaux asiatique. Sorti une première fois en France, en février dernier, à l’occasion du Nouvel An chinois, le film n’avait eu droit qu’à deux jours, seulement, d’exploitation. Avec, tout de même, 12.500 spectateurs sur 140 salles, il était évident que le distributeur français allait vouloir réitérer l’exploit et planifier une sortie nationale. C’est désormais chose faite, ce premier opus de la trilogie est à nouveau à l’affiche depuis le 10 juillet.

Adapté du roman célèbre L’Investiture des dieux (Fēngshén yǎnyì), publié au tournant du XVIIe siècle sous la dynastie des Ming et attribué à Xu Zhonglin ou Lu Xixing, le récit relate, sur un registre merveilleux, la chute de la dynastie des Shang au profit des Zhou, au milieu du XIe siècle avant notre ère.

Suite à l’assassinat de son père, le prince Yin Shou monte sur le trône des Shang tandis que s’abat sur le royaume une terrible malédiction. Sous l’influence de sa concubine Su Daji, elle-même possédée par un démon renard à neuf queues, le roi se révèle rapidement cruel et tyrannique. Ji Fa, jeune guerrier élevé par Yin Shou, va alors s’allier à un sage taoïste, descendu du mont sacré Kunlun avec deux disciples aux pouvoirs divins, pour affronter le souverain et rétablir l’ordre.

Entre révolutions de palais, possessions, créatures mythologiques issues du taoïsme comme du bouddhisme, le récit fait la part belle au folklore chinois et nous montre que l’empire du Milieu n’a rien à envier à l’Amérique en termes de héros et de personnages populaires.

Pour l’occasion, le réalisateur Wu Ershan a clairement mis les petits plats dans les grands : 800 millions de yuans (111 millions de dollars), neuf ans de préparation, 8.000 techniciens de plateau, 1.500 personnes à la post-production et aux effets spéciaux, un studio de 30.000 m2, 15.000 auditions d’acteurs à travers le monde et six mois d’entraînement intensif pour les têtes d’affiche.

Le résultat est pour le moins impressionnant. Époustouflante par son niveau de détail et sa richesse visuelle, la mise en scène verse dans le gigantisme et la débauche de moyens financiers, pour un résultat démesuré, théâtral au possible et souvent kitsch, que l’on peut ne pas apprécier. Toujours est-il qu’il serait prématuré pour les Américains de se déclarer vainqueurs de cette guerre culturelle qui ne fait que commencer…

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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