Cinéma : Drunk, de Thomas Vinterberg

DRUNK

Chaque nouveau film avec Mads Mikkelsen est en soi un événement. Habitué à des rôles de méchants plus ou moins détraqués par le cinéma américain, c’est dans des films plus confidentiels que l’acteur danois parvient le mieux à déployer l’étendue de son talent. On se souvient, en particulier, de La Chasse, en 2012, réalisé par son compatriote Thomas Vinterberg. Un film magnifique et politiquement incorrect sur le lynchage d’un homme injustement accusé d’avoir tripoté une gamine. Le cinéaste nous rappelait dans son propos que si les adultes ne sont pas tous des prédateurs en puissance, les enfants, que la modernité a tendance à sacraliser (notamment dans les pays scandinaves), savent aussi mentir…

Le tandem gagnant Mikkelsen/Vinterberg nous revient donc aujourd’hui avec un nouveau cru. Réunissant, au passage, quelques comédiens habitués du cinéaste, tels que Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Susse Wold et Magnus Millang, Drunk nous raconte l’expérience de quatre amis professeurs qui décident, un jour, d’appliquer la théorie de Finn Skårderud, psychothérapeute norvégien selon qui l’homme présenterait naturellement un déficit d’alcool de 0,5 gramme par millilitre de sang. Un déficit qu’il s’agirait évidemment de combler... Martin, incarné à l’écran par Mads Mikkelsen, d’un naturel taciturne et peu enjoué, réalise que son épouse s’ennuie à ses côtés, tout comme ses élèves du lycée chez qui il ne parvient pas à susciter le moindre intérêt pour l’histoire-géo, la matière qu’il enseigne. Lorsqu’il décide, par curiosité, d’expérimenter la théorie de Skårderud, Martin entraîne naturellement avec lui ses collègues Tommy, Peter et Nikolaj. Plusieurs fois par jour, les quatre hommes devront mesurer leur taux d’alcoolémie et le « réajuster » au besoin… Leurs observations au quotidien, en vue d’une approche scientifique qui donnera éventuellement lieu à un livre, seront consignées par écrit.

Comme on peut s’y attendre avec un tel sujet, l’expérience finira par dégénérer, mais dans des proportions différentes pour chacun des personnages – c’est là l’intérêt d’un film de groupe – car, comme on le sait, chaque organisme réagit à sa manière face à l’alcool.

Toute la première partie du film, celle où les personnages se trouvent sur une ligne de crête et respectent stricto sensu la règle des 0,5 g/ml, est sans doute la plus intéressante dans la mesure où elle permet effectivement d’observer, de manière très honnête, une amélioration sensible dans la vie des personnages, et dans celle de leur entourage – les élèves, galvanisés par leurs professeurs, se passionnent enfin pour leurs cours.

En cela, le film est à envisager d’abord comme une célébration des plaisirs de la vie, l’ambiance quotidienne gagne en légèreté sous l’effet de l’alcool tandis qu’émergent, telles des bulles de champagne, l’audace et la fibre créatrice. Les excès auxquels se livrent nos héros dans la seconde partie du récit ne sont pas tant imputables au projet initial et à la théorie de Skårderud qu’à une volonté de leur part d’aller toujours plus loin… Cette déchéance, sans doute assez convenue, Vinterberg a l’intelligence de ne pas trop s’y appesantir – ses personnages remontent la pente –, il évite ainsi de justesse le discours moralisateur auquel se prête largement le sujet de son film. Enfin, le cinéaste clarifie son propos en concluant le récit par une séquence dionysiaque où Mads Mikkelsen s’autorise la démesure et danse comme un dieu sous les regards euphoriques de ses élèves. Les ligues de vertu iront se consoler dans leur coin avec un verre de jus d’orange.

4 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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