[CINÉMA] Joker : folie à deux, tromperie sur la marchandise

© Niko Tavernise:™ & © DC Comics
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En 2019, le réalisateur Todd Phillips rencontra un succès monstre avec Joker, film consacré aux origines du principal antagoniste de Batman. Récompensé d’un Lion d’or à Venise et de deux Oscars (du meilleur acteur et de la meilleure musique), ce long-métrage attendu des amateurs du chevalier noir engrangea plus d’un milliard de dollars de recettes. Une belle réussite commerciale pour ce projet pas très sain célébrant rien de moins que l’avènement d’un antihéros, criminel dangereux et fou à lier – l’auteur de ces lignes assume honteusement son plaisir coupable…

Un psychologisation qui fait débat

Néanmoins, le film ne manqua pas de diviser le public, certains estimant non sans raison que cette version naturaliste et hugolienne du Joker nous éloignait grandement de l’univers expressionniste de Bob Kane, créateur de Batman. Car en effet, s’il offrait à Joaquin Phoenix un rôle à sa (dé)mesure, le réalisateur Todd Phillips, en « gilet-jaunant » à l’excès le personnage et en puisant son inspiration dans le cinéma de Scorsese (Taxi Driver et surtout La Valse des pantins), s’écartait radicalement de l’image traditionnelle, bouffonnante et anar, du Joker, celle à laquelle s’étaient conformés Jack Nicholson, Heath Ledger et Jared Leto. Plus dépressive, voire neurasthénique, la version de Joaquin Phoenix perdait cette folie, cet humour qui, jadis, emportait notre adhésion et nous faisait secrètement espérer la victoire du plus grand méchant de Gotham City. Précisons au passage que la version de Heath Ledger annonçait déjà, en 2008, cette psychologisation à venir et cette perte d’humour progressive du personnage.

Le Joker tombe amoureux

Cinq ans après le succès commercial de Joker, le réalisateur Todd Phillips et Joaquin Phoenix rempilent pour un second opus. Un récit carcéral aux atours de comédie musicale et de film de prétoire.

En passe d’être jugé pour les crimes qu’il a commis dans le premier volet, Arthur Fleck est interné chez les fous dans le célèbre asile d’Arkham. Sur place, notre Joker fait la connaissance de Lee Quinzel (future Harley Quinn), une codétenue pyromane dont il tombe aussitôt sous le charme. Mutuellement, les deux vont s’entraîner dans ce que les psychiatres qualifient de « folie à deux »…

En incorporant à son diptyque du Joker le personnage de Harley Quinn (créé par Paul Dini et Bruce Timm dans la série animée de 1992), le réalisateur semble, à première vue, assumer pleinement l’univers de Batman et nous promet, ce faisant, une union criminelle hors normes pour nos deux antihéros, digne de Bonnie Parker et Clyde Barrow.

Des espoirs contrariés

Cette promesse ne sera pas tenue… Car si Lee Quinzel, jouée par Lady Gaga, dont les talents d’actrice ne sont plus à démontrer depuis Gucci, se borne ici à incarner symboliquement le spectateur du film, avec sa fascination, ses attentes et même ses exigences à l’égard du Joker, Arthur Fleck n’osera jamais véritablement franchir le pas. Le réalisateur prend un malin plaisir à frustrer son public en contournant le destin promis du personnage principal, avec l’air de ne pas y toucher. Un positionnement faux-cul par lequel Todd Phillips nous prouve qu’il n’assume pas son sujet. Deux films de deux heures pour apprendre que le Joker ne deviendra jamais le Joker, cela fait beaucoup. « À quoi bon ? », s’interroge légitimement le spectateur. Le cinéaste, à sa décharge, nous avait prévenus lors de la sortie du premier film : « Nous ne faisons pas [un film] sur le Joker, nous racontons l'histoire de [quelqu'un] qui devient le Joker. »

Dans ces conditions, rien ne sert de se déplacer en salles, autant revoir La Valse des pantins de Martin Scorsese…

1 étoile sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. J’avais beaucoup aimé Joker de 2019 et la prestation déjantée de Phoenix. J’avais donc très envie de voir celui-ci malgré les critiques nuancées.
    Mais quand j’ai vu que le film est en partie chanté, j’ai fait une allergie.

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