[CINÉMA] L’Amour ouf, ces schémas traditionnels qui ont la vie dure

Capture d'écran
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Il fait l’objet d’un grand battage médiatique, depuis quelques jours. L’Amour ouf, nouveau film de Gilles Lellouche, est sorti dans nos salles le 16 octobre dernier. Le comédien-réalisateur, auquel on doit Le Grand Bain, sorte de relecture française, particulièrement bien sentie, de The Full Monty, réunit ici une ribambelle d’acteurs incontournables du cinéma hexagonal : François Civil, Adèle Exarchopoulos, Benoît Poelvoorde, Alain Chabat, Vincent Lacoste, Karim Leklou, Jean-Pascal Zadi, Anthony Bajon, Raphaël Quenard ou encore Élodie Bouchez… Un casting riche pour un projet qui ne l’est pas moins (35,7 millions d’euros, excusez du peu).

Savant mélange entre comédie romantique et drame criminel, situé quelque part dans les Hauts-de-France, le récit débute dans l’insouciance et l’effervescence pop des années 80 et s’étale sur deux décennies. Dotés de forts caractères, Jacqueline et Clotaire, jeunes lycéens, se toisent dès leur rencontre, se jaugent et, en vérité, tombent aussitôt sous le charme l’un de l’autre. Désormais inséparables, les deux comprennent intuitivement que quelque chose de puissant est à l’œuvre. Cependant, tandis que la première s’attache à demeurer une élève sérieuse, le second sèche les cours et bascule peu à peu dans la délinquance, au grand désespoir de ses proches mais aussi (surtout) du père de Jacqueline qui voit d’un très mauvais œil cette union. Séparés de nombreuses années durant, en raison du parcours criminel de Clotaire, les deux jeunes amants finiront par se retrouver par la force de leurs sentiments réciproques.

Un film à rebours de son époque

Adaptant très librement le roman L’Amour ouf de l’Irlandais Neville Thompson, publié en 2000, et réunissant pour ce faire François Civil, Adèle Exarchopoulos et Karim Leklou, qui étaient ses trois partenaires de jeu dans BAC Nord, Gilles Lellouche nous propose ici une romance passionnée sur fond de criminalité qui n’est pas sans rappeler West Side Story, de Robert Wise. Pétri de références, animé des meilleures intentions du monde et d’un désir de faire du grand cinéma, son film risque néanmoins de déplaire à nombre de nos contemporains et de s’attirer les foudres des néo-féministes. En effet, sans forcément en avoir conscience, le comédien-cinéaste contribue ici à pérenniser l’image de la fille attirée par les mauvais garçons. Un cliché, certes, mais qui n’est pas dénué de fondement. Plus agaçante, en vérité, est cette façon de glamouriser et de rendre admirable cette figure, ô combien libérale, du voyou sans foi ni loi qui se joue de la société et détruit des vies par pur égoïsme. Gilles Lellouche, qui n’a jamais caché ses opinions politiques de gauche, ne semble pas voir que ce virilisme rebelle et anar, révéré longtemps par sa famille idéologique, est aujourd’hui condamné par les mêmes personnes, non pas par antilibéralisme ou anti-individualisme, mais au nom de la lutte contre la « masculinité toxique », voire les « violences faites aux femmes ». Dépassé par une époque qui ne jure dorénavant que par la fluidité sexuelle et la vasectomie pour tous, le quinquagénaire Gilles Lellouche ne comprend plus le monde dans lequel il vit et nous livre un film joliment suranné qui, en définitive, défend les schémas les plus traditionnels qui soient de l’homme et de la femme.

Une réussite formelle

En lui-même, son film possède un charme certain, en dépit des nombreux clichés susmentionnés. Hyper-soigné dans sa mise en scène, dont chaque plan fait l’objet d’un travail minutieux, L’Amour ouf – le titre est puéril – verse quelquefois dans la surenchère esthétisante et agace par sa volonté ostentatoire de « faire comme les Américains », mais son récit rythmé, sans temps mort et souvent drôle, nous fait passer un agréable moment – on ne sent jamais défiler les 2h41.

Toutefois, peut-être préférions-nous malgré tout Le Grand Bain, aux personnages plus attachants et au propos plus adulte.

3 étoiles sur 5

 

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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