[Cinéma] Le Capitaine Volkonogov s’est échappé : l’horreur stalinienne

pic grande terreur

1938, en URSS. Jeune capitaine du NKVD, Fedor Volkonogov est habité secrètement d’un lourd sentiment de culpabilité pour tous les crimes et sévices auxquels il a participé au nom du régime. Lorsque, subitement, ses hommes sont convoqués les uns après les autres par la hiérarchie, il comprend aussitôt qu'ils font l’objet d’une énième purge par Staline et qu’il sera le prochain sur la liste. Son instinct de survie le pousse alors à s’enfuir. Seul, traqué sans relâche par les autorités du pays, il sait que ses chances de survie sont minimes. Mais, craignant moins la mort que la justice divine et la perspective de finir en enfer, le capitaine Volkonogov, pour sauver son âme, décide d’aller demander pardon aux familles de ses victimes.

Voilà un film qui risque de plaire pour de mauvaises raisons. Non exploité en Russie – les distributeurs potentiels, depuis la guerre en Ukraine, s’étant tous retirés –, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé fera le jeu des russophobes de tous poils qui ne manqueront pas, en Occident, de faire un parallèle hasardeux entre la politique de Joseph Staline et celle de Vladimir Poutine. L’exil en Azerbaïdjan des cinéastes Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov ne peut, hélas, que les conforter dans leurs certitudes…

Pourtant, la période actuelle n’a pas grand-chose à voir avec les purges staliniennes et la Grande Terreur de 1936-1938. À l’époque, rappelons-le, le coup d’envoi des épurations fut donné dès décembre 1934 avec l’assassinat non élucidé de Sergueï Kirov à l’Institut Smolny de Leningrad. Prétexte parfait pour Staline qui justifia un décret laissant au NKVD le droit de condamner à mort sans que le Comité central pût être saisi en appel. Le meurtre de Kirov, écrit Jean Elleinstein dans sa biographie de Joseph Staline, « constitue une date décisive dans la vie et la carrière » du dictateur. Aussitôt après l’assassinat, le Comité central envoya à toutes les organisations du PC une circulaire confidentielle qui recommandait l'exclusion du parti de tous les opposants et leur arrestation. Ainsi, limitée pour l'essentiel aux paysans, la Terreur s’étendit aux citadins et aux bolcheviques eux-mêmes. Entre 1936 et 1939, des millions de personnes furent déportées et, pour une part importante, exécutées. La torture fut appliquée et la délation encouragée, y compris au sein des familles, selon le principe de responsabilité criminelle collective… Staline promulgua même un décret permettant la peine de mort pour les enfants de 12 ans (!).

Officiellement, les historiens font dater de 1936 la Grande Terreur avec le premier grand procès public de Moscou, celui qui permit d’éliminer Zinoviev, Kamenev et leurs amis. Il fut suivi de deux autres grands procès, en 1937 et 1938.

Dès 1937, le NKVD connut l’épuration : 3.000 dirigeants de la police politique furent exécutés. Puis ce fut le tour de l’armée (3 maréchaux sur 5, 13 commandants d’armée sur 15) et de centaines de responsables politiques. À la fin des années 30, il y avait au moins 6 millions de détenus dans les camps staliniens. Enfin, le nombre global des déportés de 1930 à 1941 dépassa les 12 millions de personnes.

Honnête dans son approche et magnifiquement photographié, le long-métrage de Merkoulova et Tchoupov aborde l’horreur de cette période avec une ironie mordante qui rend la chose plus digeste pour le spectateur. Révélé en 2021 dans le très beau film Compartiment N°6, Youri Borissov campe un capitaine Volkonogov jusqu’au-boutiste, dans la droite lignée de ces personnages russes qui alternent avec passion le péché et le souci du sacré. Sa quête de repentir et ses confrontations diverses avec les familles de ses victimes donnent lieu à des scènes poignantes (notamment une avec un enfant pugnace et perspicace), parfois drolatiques qui, dans tous les cas, soulignent la cruauté d’un régime communiste trop souvent mise sous le boisseau, y compris en France…

5 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Ne plaignons pas l’Ukraine, en tout cas pas ses dirigeants qui ont creusé la tombe de leur pays depuis 2014 en ne respectant en rien les accords en Russie et Ukraine, dont l’Occident devait observer la mise en œuvre et qu’il n’a pas fait.

  2. Ce matraquage anti Russe, mes ancêtres qui ont connus la période avant la guerre 14 et me l’ont souvent raconté, avec les technologies actuel, semblent bien se ressembler. Si on compare le Stalinisme, au quelle peut d’entre nous auraient vocation à vivre, cette période, il est vrais, ce que fait l’hégémonie des états unis d’Amérique depuis un bon siècle au plus, il serait intéressant de s’en rendre compte. A voir.

  3. Sans doute un récit de l’horreur stalinienne, mais il ne faut pas oublier que lors de l’holodomor, Krouchtchev était secrétaire général du Parti Communiste Uktainien et y a donc participé activement. Après le procès du stalinisme, il y aurait lieu de faire celui de Krouchtchev et de la guerre nucléaire qui était sans doute programmée au moment des évènements de Cuba et qui a été exorcisée par la scène fameuse de la chaussure dur la table à l’ONU. Un accident nucléaire, encore tenu secret et sans doute providentiel, nous a épargné cette catastrophe. Il faudrait aussi éclairer le rôle exact de Gorbatchev, Directeur du KGB, dans l’attentat manqué sur le Pape Jean Paul II.

  4. L’horreur stalinienne ? Pas tout a fait finie, Poutine en rêve.  »La cruauté d’un régime communiste trop souvent mise sous le boisseau, y compris en France »…? Sans parler de la Russie et du bourrage de crane intensif qui y continue. Pour eux la  »Grande guerre patriotique » n’a commencé qu’en 1941, l’Ukraine c’est les nazis, et la détruire n’est une  »opération spéciale »… parfaitement justifiée

  5. « qui ne manqueront pas, en Occident, de faire un parallèle hasardeux entre la politique de Joseph Staline et celle de Vladimir Poutine. »
    Sans oublier que l’Holodomor de l’URSS stalinienne vient d’être reconnu comme génocide contre l’Ukraine par notre parlement
    On se demande de quoi se mêle ce parlement quand on nous refuse la reconnaissance du génocide vendéen.

  6. Probablement pas de la même veine que le déroutant « Major Grom », mais semble valoir le coup d´oeil…

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