Cinéma : Les Choses humaines, d’Yvan Attal

les choses humaines

Fils d’une intellectuelle de centre gauche rompue aux médias et d’un célèbre animateur télé sur le point d’obtenir la Légion d’honneur, Alexandre appartient à cette jeunesse dorée parisienne qui forme les principaux contingents des élites de demain.

Rentré momentanément des États-Unis, où il étudie à l’université de Stanford, Alexandre fait la connaissance du nouveau compagnon de sa mère, Jean, et de sa fille Mila. Les deux jeunes sympathisent, se rendent à une soirée, se lient peu à peu, mais les choses dégénèrent. Quelques heures seulement après s’être quittés, la police débarque en trombe chez Alexandre et l’emmène au poste. Mila l’accuse de l’avoir violée.

Adapté d’un roman de Karine Tuil paru en 2019, le dernier film d’Yvan Attal risque de déclencher des polémiques. Faisant mine, par son sujet, de se conformer docilement aux préoccupations de l’époque et au climat général de criminalisation masculine, depuis les vagues « MeToo » et « BalanceTonPorc », Les Choses humaines propose, contre toute attente, l’examen nuancé d’une affaire de mœurs, à la lumière de son contexte et de la personnalité de chaque protagoniste.

Si la réalité du rapport sexuel ne fait aucun doute, la perception que semblent en avoir Alexandre et Mila est manifestement bien différente. Pourtant, de cet événement qui n’a duré qu’une vingtaine de minutes dépend leur avenir : pour Mila, c’est sa relation aux hommes qui est en jeu ; tandis qu’Alexandre risque tout bonnement la case « prison ».

Dans son refus de l’évidence, le réalisateur choisit volontairement d’opacifier la psyché de ses personnages et revendique la zone grise afin de signifier au spectateur la difficulté, pour une cour de justice, de juger ce type d’affaire.

Entre omissions volontaires et mensonges à soi, la probité de chacun est sans cesse mise en question. La trajectoire du procès et les arguments avancés par les deux parties nous donnent bien une vague idée de ce qui a pu se passer, cette nuit-là. Cependant, Yvan Attal a l’intelligence de ne rien confirmer par l’image, c’est au spectateur, en définitive, de se faire un avis, tel un juré d’assises. De là, sans doute, la construction très balisée du récit qui, par ses intertitres délimitant chaque partie (notamment lors du procès), nous rappelle qu’il y a une procédure à suivre, un ordre, cela, dans un souci de neutralité afin d’approcher au plus près de la vérité.

Le courage dont fait preuve le réalisateur en refusant la diabolisation de l’accusé et en donnant droit de cité à la nuance – lui qui, en tant qu’homme, s’expose évidemment à toutes les attaques – justifie à lui seul l’existence de ce film. On lui pardonne donc volontiers la maladresse du titre et le jeu aléatoire de certains acteurs.

Là où Les Choses humaines fascine le plus, c’est peut-être dans ce qu’il nous dit des mœurs d’une certaine bourgeoisie haussmannienne et digicodée, agrégat de familles recomposées à l’idéologie post-soixante-huitarde, cosmopolite et mondialisée, où les jeunes grandissent sous cloche, méconnaissent tout du réel, s’encanaillent à écouter du rap américain et à sniffer de la coke entre deux coupes de champagne, couchent à droite à gauche par pur consumérisme sexuel et vivent dans l’illusion que rien n’a de conséquence : « on s’prend pas la tête ». Dès lors, rien de surprenant à ce que l’étude de mœurs débouche sur une sordide affaire judiciaire.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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