[CINÉMA] “Leurs enfants après eux”, vivre ensemble dans la France périphérique

© Warner Bros, France
© Warner Bros, France

Heillange, une petite commune de Moselle, surplombée par des hauts-fourneaux laissés à l’abandon depuis une série de plans sociaux. Nous sommes au début des années 1990, en pleine chaleur des vacances d’été. Au bord d’un lac, Anthony, quatorze ans, vole une barque avec son cousin et fait la connaissance de Stéphanie, dont il tombe presque aussitôt amoureux. Le soir même, il décide d’emprunter, sans son accord, la moto de son père et se rend avec son cousin à une fête organisée par des jeunes de son âge, où il retrouve la nouvelle élue de son cœur. La soirée suit pacifiquement son cours lorsque deux Maghrébins de la ZUP locale viennent s’incruster sans avoir été invités. Rapidement, le ton monte. Anthony fait un croche-patte à Hacine qui, furieux, vole la moto de son père. Prévenue le lendemain, la mère d’Anthony vient la réclamer auprès du père de Hacine, qui apprend les faits avec consternation et punit violemment son fils. Peu après, Anthony et sa famille retrouvent la moto en flammes à proximité de leur domicile… Pris de colère, Anthony menace physiquement Hacine et, dès lors, le jeune Marocain n’aura de cesse, de longues années durant, de vouloir se venger, telle une menace planant sur les chances de bonheur d’Anthony.

Une tragédie inéluctable

Pour leur quatrième long-métrage, les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma se lancent pour la première fois dans l’adaptation d’un roman, celui de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, prix Goncourt de l’année 2018. L’occasion, pour les deux cinéastes, de s’éloigner un peu du « film de genre » et de revenir aux sources d’un cinéma plus social, dans la veine de Willy 1er, qu’ils avaient réalisé en 2016. Ici, cependant, les dures réalités du quotidien (désindustrialisation, chômage, alcoolisme, délinquance croissante dans les cités, tensions ethniques) ne font plus guère l’objet de dérision mais sont autant de marqueurs sociologiques, voire anthropologiques, qui pavent la voie d’une tragédie vers laquelle s’acheminent peu à peu les personnages, inexorablement, tandis que s’allonge la liste des griefs respectifs des deux antagonistes principaux.

Le film ferait aisément penser au « réalisme poétique » des années 1930 si sa conclusion résolument optimiste ne venait démentir cette intuition première. Car oui, sur la question du « vivre ensemble », que porte en écho la percée de l’équipe française de football de la Coupe du monde 98, les deux réalisateurs ont encore la naïveté de croire que le pire peut être évité. Nous sommes évidemment en désaccord complet avec leur vision des choses, mais cela n’enlève rien à la force de leur récit, parfaitement maîtrisé et d’une grande profondeur mélancolique – Gilles Lellouche et les jeunes Paul Kircher et Sayyid El Alami tirent tous trois leur épingle du jeu.

Le choix de la pudeur

Enfin, récit très dense d’une romance qui peine à aboutir, chaque fois interrompue par ce qui semble être le poids des déterminismes sociaux, Leurs enfants après eux ressemble par bien des aspects au récent L’Amour ouf, de Gilles Lellouche, jusque dans ses clins d’œil au western, et dans son côté « juke-box » des tubes de l’époque, mais sans la pompe, la surenchère et, surtout, sans la complaisance. Nombre de critiques déplorent le traitement minimaliste des questions économiques et sociales ; sans doute, les frères Boukherma ont-ils estimé plus judicieux de suggérer les choses par l’image et sa composition que par de grands discours. Eux-mêmes issus de la France périphérique, le Lot-et-Garonne pour être précis, ceux-là n’éprouvent nul besoin de fétichiser la pauvreté comme le ferait plus un cinéaste parisien qui ne la connaît pas – question d’honnêteté, probablement, et d’élégance.

 

3 étoiles sur 5

 

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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