Cinéma : Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud

notre dame brule

Huit mois à peine s’étaient écoulés depuis l’incendie de la cathédrale Notre-Dame que le producteur Jérôme Seydoux proposa joyeusement à Jean-Jacques Annaud d’en faire un film « à grand spectacle » avec un « son immersif »… Des termes que rapporte tels quels le cinéaste. On se demande alors si un tel projet de « son et lumière » était bien opportun ; n’était-ce pas trop tôt ? Le sujet se prêtait-il à un film à suspense avec destructions en pagaille dignes de King Kong contre Godzilla ? Jusqu’où, d’un point de vue philosophique, a-t-on le droit d’aller dans la représentation du chaos ?

Notre-Dame brûle, disons-le d’emblée, est sans conteste une impressionnante reconstitution de la tragédie du 15 avril 2019, avec un véritable travail de recherche sur la chronologie des faits. De la confection des décors aux images de synthèse, en passant par les effets pyrotechniques, tout est maîtrisé de bout en bout, il n’y a rien à redire à cela. Le film, de surcroît, est un vibrant hommage aux pompiers qui, à l’image de ces bâtisseurs de cathédrales risquant autrefois leur vie pour une entreprise divine, affrontèrent mille dangers pour sauver des flammes cet héritage inestimable de la civilisation.

Ce n’est pas tant l’hommage à l’édifice ou à ses sauveteurs qui nous pose problème que les moyens employés tout du long par Jean-Jacques Annaud. Sincère mais foncièrement maladroit dans son approche, le cinéaste affuble son récit d’effets de style hollywoodiens, avec ménagement de la tension, touches d’humour, plans chocs et musiques de circonstance. Comment, alors, ne pas penser à la polémique qui entoura le film Kapò lorsque Jacques Rivette, dans un article de 1961 intitulé « De l’abjection », reprocha au réalisateur Gillo Pontecorvo d’avoir esthétisé l’horreur des camps à des fins spectaculaires : « Le réalisme absolu, ou ce qui peut en tenir lieu au cinéma, est ici impossible : toute tentative dans cette direction est nécessairement inachevée (donc immorale) […] toute approche traditionnelle du spectacle relève du voyeurisme et de la pornographie. »

L’esthétisation de la destruction de Notre-Dame sur grand écran, et la volonté de provoquer chez le spectateur des « sensations fortes », au même titre qu’un vulgaire film apocalyptique de Michael Bay, sont tout aussi indécentes. Tout au moins relèvent-elles de la faute de goût pure et simple – hélas, nous ne sommes plus à cela près avec le cinéma de Jean-Jacques Annaud…

Sans doute nous objectera-t-on l’exemple du chef-d’œuvre de James Cameron sur le naufrage du Titanic ; nous répondrons alors que le film avait été tourné presque un siècle après les faits, nous avions par conséquent un recul total sur les événements, ce qui est loin d’être le cas pour le film sur Notre-Dame. Par ailleurs, la valeur spirituelle, historique et civilisationnelle de la cathédrale n’aura échappé à personne…

Ce parti pris indécent de l’esthétisation hollywoodienne trouve (évidemment) ses limites dans les moments où, mal dirigés/mal cadrés, certains comédiens suscitent malgré eux les rires nerveux des spectateurs – ce qui n’a pas manqué lors de la projection… La maladresse vire carrément au grotesque lorsque Anne Hidalgo apparaît à l’écran dans son propre rôle (humilité : zéro) ou lorsque déboule, tel un pantin, une doublure de Donald Trump à la Maison-Blanche – toute la salle a éclaté de rire.

Jean-Jacques Annaud va jusqu’à peaufiner le « réalisme » de son œuvre en mêlant à ses prises de vues artificielles des archives télévisées ; les images d’horreur filmées par les journalistes de l’époque sont donc mises à contribution d’un film « à grand spectacle », appuyées parfois par quelque musique d’ambiance – on repense, alors, au documentaire discutable de Peter Jackson sur les soldats de la Première Guerre mondiale. Le procédé donne même lieu à un collage édifiant faisant dialoguer le Président Macron avec un personnage du film. Là encore se pose la question morale de savoir jusqu’où peut aller le cinéma…

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

18 commentaires

  1. Généralement, j’aime les films de J.J. Anaud mais pour ce qui est de son film sur N.D. je suis d’accord avec la critique de cet article. En plus de ce qui est dénoncé, le titre m’afflige et je pense qu’il faut avoir bien peu d’intuition pour « reproduire » un tel désastre… Donner à voir de telles images peut fatalement induire des vocations de pyromanes… J.J. Anaud ne dit-il pas que le « feu est attirant, inspirant, etc… ». Combien d’esprits dérangés vont y puiser de l’inspiration ?

  2. Jean-Jacques Annaud peut raconter ce qu’il veut, nous étions devant notre télé quand ça s’est passé. On a vu les pompiers bloqués dans les embouteillages. On a vu qu’aucun système anti-incendie n’était prévu en surplomb de la cathédrale. On a entendu des spécialistes dire que de si vieilles poutres ne pouvaient prendre feu comme cela. On a entendu le gouvernement déclarer immédiatement que l’incendie n’était pas d’origine criminelle. Et on n’a pas eu de détails sur l’enquête, si elle a eu lieu.

  3. Déjà en 2016  » Cinq femmes radicalisées sont jugées à partir de ce lundi devant la cour d’assises spéciale de Paris pour l’attaque manquée à la voiture piégée à quelques pas de la cathédrale Notre-Dame , avec des bombonnes de gaz … »
    Elles ont été condamnées…!

    • D’autant que « certains » avaient suivant des commentaires de jounalistes, « le sourire aux lèvres ».

  4. Est ce le cinéaste a aussi fait apparaitre la mise à feu de la cathédrale ? Ce serait encore mieux et réaliste…Et peut être même de dire qui a fait cette mise à feu.

  5. « Notre-Dame brûle » Pourquoi pas: « Qui a brûlé Notre-Dame »? Ah, ben non, on ne veut pas le savoir. Combustion spontanée, comme certains corps humains?

  6. « Faute de goût … Nous ne sommes plus à cela près avec le cinéma de Jean-Jacques Annaud… ».
    Je trouve la critique assez injuste. Pour moi, c’est un des meilleurs realisateurs francais : Guerre du Feu, Nom de la Rose, Sept ans au Tibet, Stalingrad … Toujours meilleur qu’un tas d’abrutis encensés par la critique avec leur cinéma d’auteur à message(s), pour lesquels personne n’a jamais acheté un ticket MK2 ou UGC.

  7. Et pendant qu’on enfume le péquin moyen on se garde bien de tenter un seul instant d’expliquer la ou les causes de cet incendie.

  8. Ce film a le mérite d’exister et de rappeler nos symboles et la valeur des hommes au delà du seul engagement professionnel.

  9. Revenons au sujet qui fâche : l’incendie volontaire.
    Rappel : Il est IMPOSSIBLE de faire enflammer spontanément du chêne vieux de plusieurs siècles dur comme de la pierre. Essayez et vous verrez.

    Sauf à y adjoindre au préalable une substance spéciale qui favorise la combustion.

    Une preuve parmi d’autre: l’empressement des médias à considérer cette évidence comme une fake news et thèse complotiste bien évidemment…

    • Il est effectivement plus simple d’accaparer l’attention du quidam à l’aide d’un film mettant à l’honneur les pompiers, que parler des causes réelles de cet incendie « accidentel » qui fait sourire bon nombre de français possesseurs de cheminée, lorsqu’il s’agit de faire prendre une bûche beaucoup moins vieille que les pierres de Notre-Dame

    • Ce qui est encore plus curieux c’est qu’Hidalgo regardait par la fenêtre au même moment et aurait alerté les pompiers et qu’elle nous a sorti des plans de réaménagement du toit de Notre-Dame pratiquement tout de suite…entre-autres : l’installation d’un centre commercial ou parc végétalisé ?????

    • Je voudrais simplement dire ceci : le plomb fond à basse température(327°C) mais se vaporise à très haute température (1500° C). Le fait que la vaporisation ait eu lieu et qu’il ait fallu dépolluer des surfaces qui n’avaient pas été souillées par des coulures, mais soumises à des vapeurs de plomb est un très fort argument en faveur du caractère criminel de l’incendie. On ne le saura jamais, ou plutôt, on le sait probablement, mais on ne le dira jamais.

  10. L’absence de retenue est hélas la marque de l’art moderne . Il fût un temps où les Pyrennées avaient un sens en ce domaine. Picasso les a rasées .

  11. Nous n’étions pas dans la même salle et certainement pas avec le même public. Sans doute moins esthète. Certainement plus atteint et inconsolable de la perte de ce monument sacré. Vous parlez d’Hidalgo. La salle grondait devant le spectacle affligeant des pompiers bloqués par les embouteillages, les hordes de cyclistes désinvoltes peu habitués à s’écarter devant un véhicule, même prioritaire, ou encore les multiples travaux de la voirie rétrécissant les voies d’accès au sinistre.

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