[Cinéma] Rodéo, de Lola Quivoron, la mauvaise et la bonne polémique

rodéo

Au dernier Festival de Cannes, on s’en souvient, la réalisatrice Lola Quivoron, venue présenter son film Rodéo, déclencha une polémique sur la question des rodéos urbains. Interrogée par le site Konbini, elle tint les propos suivants : « Les accidents, ils sont souvent causés par les flics, qui prennent en chasse, qui poussent les riders vers la mort, en fait, concrètement. »

Ni une ni deux, l’ensemble de la presse s’empara de cette phrase, soit pour en défendre le contenu, soit pour l’attaquer. Pour les premiers, il s’agissait de faire du film un plaidoyer salutaire pour les « jeunes » qui s’adonnent au rodéo urbain et sont victimes de « violences policières » ; pour les autres, il était question de pointer l’apologie intolérable d’une pratique illégale entraînant régulièrement la mort de personnes innocentes.

Maintenant que le film est sorti en salles, descendons un peu de nos grands chevaux et analysons l’œuvre sur pièce.

Rodéo est le récit d’une jeune fille de cité, Julia, vivant de combines afin de financer sa passion pour le cross-bitume. Dès les premières minutes du film, le ton est donné : le personnage escroque un vendeur sur leboncoin et vole sa moto, le sourire aux lèvres et le majeur tendu…

Julia, que la cinéaste cherche vainement à nous rendre sympathique (elle n’y arrivera jamais), se lie alors à un groupe de jeunes délinquants qui s’entraînent et friment sur leurs deux-roues en zones périphériques. Au fil de son intégration à la bande, une idée germe dans son esprit : dépouiller le camion d’un concessionnaire transportant des motos de dernière génération…

Premier constat qui s’impose : Rodéo n’aborde à aucun moment le sujet des rodéos urbains, les personnages restent en périphérie des zones industrielles et ne s’aventurent pas en centre-ville. En outre, le film ne montre jamais de course-poursuite avec la police, et il n’est pas non plus question de victimes parmi les riverains. Par conséquent, faire de Rodéo une apologie des rodéos urbains ou une œuvre anti-flics relève de la pure malhonnêteté intellectuelle.

La seule polémique qui vaille – et qui est grandement méritée – concerne les propos inacceptables de la cinéaste en marge du Festival de Cannes. Ceux-là sont caractéristiques d’une jeunesse bourgeoise et haussmannienne complexée par sa richesse, honteuse de papa et maman, et cherchant pour cette raison à s’encanailler en dédouanant la racaille de cité qu’elle n’est pas, et ne sera sans doute jamais, amenée à fréquenter au quotidien – la popularité du rap parmi cette sociologie de privilégiés ne s’explique d’ailleurs pas autrement…

Lola Quivoron l’admet volontiers, La Fureur de vivre, avec James Dean, est l’une de ses inspirations idéologiques. Tout son film, à défaut de faire l’éloge du rodéo urbain, célèbre et glamourise le mode de vie des « cailleras » : jeux de vitesse, dépassement de soi, culte insouciant de l’instant présent, esprit antisocial, virilisme sur-couillu à deux balles, rapacité, chichon à gogo, hip-hop électro (et filles qui se trémoussent dessus…), vulgarité éruptive, violence et justice personnelle. La cinéaste, qui pense en interview avoir réalisé un film anticapitaliste à travers le personnage condamnable du chef de groupe, rend hommage au contraire à l’individualisme le plus primaire.

La vacuité du récit n’est nullement compensée par la forme, car niveau mise en scène, Rodéo n’a pas grand-chose à défendre. Composé essentiellement de gros plans hystériques sur les visages bovins de ses personnages, le film ne laisse jamais respirer les corps ; même les scènes de cross-bitume sont mal cadrées – un comble !

Lola Quivoron affirmait, sur France Inter, que « la polémique va vite disparaître, Rodéo va rester ». Hélas pour elle, c’est peut-être bien l’inverse qui risque de se produire : il ne restera de tout cela qu’une polémique vaguement comprise.

1 étoile sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

11 commentaires

  1. Elle oublie les victimes de ces racailles et leurs familles .Ce navet ne fera pas long feu sur les écrans et c’est tant mieux . Et l’on s’étonne que les gens désertent les salles de cinéma .Quand aux « flics  » je leur suggère de tourner la tête si un jour elle ou un des siens est agressée et victimes de ces racailles .Elle n’aura que ce qu’elle mérite.

  2. Courageux métier, de nos jours, que celui de critique cinématographique.
    Comme certains l’on déjà largement dit avant moi, je pratique désormais le « pas de pass, plus de cinéma. »

  3. Attention, la « cinéaste » insiste lourdement sur l’orthographe de Rodeo. Sans accent, s’il vous plaît.
    Autrement dit, à l’américaine.

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