Cinéma : Santosh, un polar indien empreint de naturalisme

© Taha Ahmad
© Taha Ahmad

En 2012, le monde entier prend connaissance avec effroi d’un terrible fait divers survenu en Inde, à New Delhi. Jyoti Singh, une étudiante en kinésithérapie de 23 ans, est violée et torturée à mort par six hommes dans un autobus. Une affaire qui souleva l’indignation du pays et qui, semble-t-il, marqua profondément la documentariste Sandhya Suri.

Née en Angleterre où son père était médecin, mais ayant gardé un lien fort avec son pays d’origine, la scénariste-réalisatrice se serait inspirée de cette histoire sordide pour son tout premier long-métrage de fiction. Santosh, du nom du personnage principal incarné à l’écran par Shahana Goswami, nous raconte le parcours d’une jeune femme dont le mari policier, Raman, a été tué récemment lors d’une émeute. Ne pouvant dorénavant compter que sur elle-même pour subvenir à ses besoins, elle se voit proposer par un collègue de son époux le « recrutement compassionnel », un programme d’État visant à offrir aux veuves de policiers l’emploi du défunt. Du jour au lendemain, cette femme au foyer qui n’a encore jamais travaillé, si ce n’est à l’aide aux devoirs, devient alors gardien de la paix et se trouve appelée sur le lieu d’un meurtre. Le corps d’une adolescente, violée puis assassinée, a été retrouvé au fond d’un puits de son village. Issue des « Intouchables », ou « Dalits », les populations les plus pauvres de l’Inde, la jeune Devika Pippal avait disparu quelques jours auparavant dans l’indifférence la plus complète des autorités, malgré le signalement inquiet de son père.

Rapidement médiatisée, l’affaire donne lieu à une enquête à laquelle prennent part Santosh et sa chef Sharma, une policière intransigeante qui refuse de laisser ce crime impuni. Mises sur la piste de Saleem, le compagnon présumé de Devika qui échangeait avec elle par SMS, les deux femmes entendent bien rendre justice à la victime…

Un film sans artifice ni effets

Très loin, dans son esprit, de Bollywood, de Tollywood et de Kollywood, le film de Sandhya Suri refuse les artifices attendus du cinéma populaire indien - à base d’action survoltée, de cascades en tous genres, de danses endiablées et de musiques festives - et fait le pari d’un naturalisme très occidental dans son approche. D’un rythme lent et d’une ambiance pesante, tel le corps lesté au fond du puits, le récit ne s’embarrasse d’aucun souci esthétisant, ne se donne pas même la peine de ménager une musique d’ambiance ni le moindre suspense, mais sert de prétexte à décrire tel quel, froidement, comme dans un documentaire, l’état réel de la société indienne. Entre mépris de caste, privilèges et impunité dus aux origines sociales, infériorisation des femmes, manque de moyens matériels des autorités, corruption généralisée de la police et conflits confessionnels larvés, Santosh dresse un tableau peu exaltant – mais saisissant – de l’Inde contemporaine. Sans doute une telle liberté de ton n’eût-elle pas été possible de la part d’une cinéaste qui aurait grandi et longuement vécu dans le pays. La double nationalité anglo-indienne de Sandhya Suri explique probablement en partie cette recherche affichée de neutralité.

Là où le film excelle, c’est dans sa façon de mettre en scène l’opacité des comportements humains et de leurs motivations, qu’il s’agisse du rapport ambigu de Santosh à la corruption ou des justifications morales de sa chef qui s’est rendue coupable d’une terrible bavure policière – Sunita Rajwar, fascinante, vole la vedette à Shahana Goswami.

Un film captivant à l’ambiance fétide.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

4 commentaires

  1. Quel jugement convenu sur la société indienne ! Est-ce à nous, ou aux Anglais, totalement dégénérés, de leur donner des leçons ???

  2. Comme pour les incendies de voiture à la St-Sylvestre, le fait de médiatiser par presse, flashinfos ou films les viols de jeune femme donne des idées à des prédateurs potentiels. La preuve : celà fait 30ans qu’on en parle en disant que c’est intolérable et il y en a de + en +.

  3. Certainement intéressant comme beaucoup de films indiens où il n’y a pas comme vous le dites des danses , des cascades et autres acrobaties . Ce n’est pas à nous occidentaux de donner des leçons surtout avec notre wokisme nauséabond en pleine expansion !

  4. Oh…qu ‘elle est belle Santosh , pendant toute la durée du film , je n ‘ai eu d ‘yeux que pour elle !!

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