[CINÉMA] The Bikeriders, anthropologie des clubs de motards

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À la fin des années 1960, un jeune étudiant en photographie, Danny Lyon, accompagnait un club de motards du Midwest aux États-Unis, les Vandals, pour immortaliser leurs équipées avec son appareil et s’entretenir avec les différents membres et leurs proches, en vue de la publication d’un livre.

Très librement inspiré de cet ouvrage paru en 1967, le dernier film en date de Jeff Nichols en reprend le titre, The Bikeriders, et nous offre une fiction à caractère anthropologique sur l’âge d’or des clubs de motards, avant leur basculement progressif dans la criminalité, au tournant des années 70 – on parle, ici, des Vandals mais leurs rivaux, les Hell’s Angels, sont tout autant concernés par cette évolution.

Au début était l'innocence

Le récit nous est conté sur plusieurs années par Kathy, compagne d’un biker interviewée par Danny Lyon. Incarnée à l’écran par Jodie Comer (Le Dernier Duel), la jeune femme narre sa rencontre avec Benny, l’homme de sa vie, une sorte de rebelle à la James Dean, taiseux et rétif à toute autorité, et revient de long en large sur la manière dont elle a appréhendé cet univers viriliste aux règles bien établies. Un milieu paradoxalement très anar, caractérisé à l’origine – et en toute innocence – par le goût de la liberté, de la légèreté, de la fête et des courses de moto, et par un sens aigu de la camaraderie.

Véritable famille d’adoption pour ses membres, le club que tient Johnny (campé par l’excellent Tom Hardy) a pour vocation initiale, dans un monde de plus en plus instable socialement et économiquement, de satisfaire un naturel besoin communautaire, au même titre que toutes les modes qui suivront : les punks et les hooligans dans les années 80, ou les graffeurs dans les années 90. Un esprit de groupe qui, en marquant une frontière nette avec le monde extérieur, incite évidemment à la bagarre avec les bandes rivales. L’origine des dérives criminelles qui apparaîtront chez les bikers dans les années 70 : drogue, racket, prostitution (souvent liée à l’industrie du porno) ou assassinats…

L'Amérique des oubliés

Le film de Jeff Nichols, heureusement – et contrairement à ce que laisse penser sa bande-annonce –, déplore cette évolution mortifère, qu’il présage très tôt dans le récit à travers le parcours parallèle d’un jeune délinquant sans foi ni loi, et se concentre principalement sur les premières années, sur cet « âge d’or » révéré qui vit l’éclosion de ces bandes de motards encore relativement innocents, mus par l’unique plaisir de tracer la route entre potes. D’aucuns estimeront, non sans raison, que l’anarchisme inhérent à ces groupes sociaux ne pouvait, à terme, qu’apporter la caution (a)morale des dérives à venir…

Désabusée, volontiers ironique dans le ton qu’elle emploie pour le décrire, Kathy n’est pas dupe du milieu qu’elle a embrassé en épousant Benny (Austin Butler, vu récemment dans le biopic sur Elvis). Par le témoignage qu’elle livre au micro de Danny Lyon, c’est toute une Amérique des oubliés que Kathy dépeint, celle des « rednecks », des « beaufs » que les CSP+, les universitaires et les médias acquis au Parti démocrate ne cessent de railler à longueur de temps. Familier de cette sociologie qu’il avait déjà dépeinte, et de façon admirable, dans Mud, le réalisateur Jeff Nichols ne cache pas sa tendresse pour ces marginaux qui ont eu la naïveté, à une époque, de croire que la laideur du monde et sa violence exacerbée leur seraient épargnées indéfiniment.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. très bon film, qui interroge sur la fracture sociale ancienne aux Etats Unis.
    De James Dean à Marlon Brando, on comprend sans approuver.
    C’est tentant la mentalité rebelle, et très sudiste, , mais il faut bien admette que ces jeunes gens ne sont pas les modèles des « gendres idéaux » …

    • Si vous le dites , j’irai le voir . Ces gens étaient les vrais rebelles d’une société qui ne leur convenait pas tout à fait . C’est l’époque incarnée par James Dean , Marlo Brando ou Jack Nicholson de « Easy riders  » . Ces chevauchées motorisées avaient beaucoup de panache mais la réalité était peut-être moins « glamour » . Mais picturalement et esthétiquement , cela ne pouvait qu’être exploité par le cinema ;

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