[CINÉMA] Trap, de l’amoralité à l’immoralité

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Il y a quelque chose de touchant, dans le cinéma de M. Night Shyamalan. Cousus de fil blanc, souvent grotesques ou d’un goût douteux, ses films à concepts fourmillent d’idées fantaisistes plus ou moins bien exploitées et laissent parfois percer quelque fulgurance de mise en scène. Par son intérêt pour le grand spectacle et les excentricités en tous genres, le cinéaste américain ne trahit pas ses origines indiennes. Modeste artisan du septième art, bon faiseur, Shyamalan (Sixième Sens, Incassable, Le Village, The Visit, Old) n’a pas signé que des chefs-d’œuvre, loin de là, mais son enthousiasme est suffisamment communicatif pour attiser chaque fois notre curiosité.

Son dernier film en date est du même tonneau que les précédents. Trap nous propose un concept plein de malice : la traque policière d’un tueur en série (Josh Hartnett) cerné dans une salle de concert, alors que celui-ci était venu accompagner sa gamine au spectacle de la chanteuse Lady Raven (Saleka Shyamalan, fille du réalisateur), une star de hip-hop passablement narcissique et tête à claques qui fait rêver les adolescentes.

Hyper-intelligent, rusé, notre tueur est bien déterminé à utiliser tous les éléments dont il dispose pour trouver une issue et se tirer fissa sans attirer l’attention de la police et sans éveiller, bien sûr, les soupçons de sa petite…

Bourré de facilités, usant de grosses ficelles, de révélations fracassantes et de rebondissements en veux-tu en voilà, le scénario amuse un temps mais perd de son attrait dès lors que l’intrigue quitte la salle de spectacle et que la traque se poursuit dans la nature, marquant la fin d’un concept (lequel fait évidemment penser à Snake Eyes, de Brian de Palma) qui n’a pas eu le temps de tenir toutes ses promesses.

Une douteuse empathie

Plus problématique d’un point de vue éthique, le film nous range clairement du côté du tueur et non pas de la police, nous rendant joyeusement complices de ses méfaits et suscitant suffisamment d’empathie de notre part pour que nous souhaitions le voir s’en sortir. Le refus par principe de tout positionnement moral – une neutralité axiologique de nature intrinsèquement libérale – ne peut que faire le lit de l’immoralité et de la connivence la plus malsaine entre le spectateur et le tueur : c’est ce que Shyamalan semble ne pas voir…

Beaucoup, parmi les critiques, cherchent à relativiser sur ce point et comparent le film à Dexter, le célèbre feuilleton de Showtime qui mettait en scène un sympathique tueur en série. Ce que ces critiques oublient, c’est que le personnage en question ne s’en prenait qu’aux « méchants », à ses semblables, et affichait par conséquent un minimum d’éthique. Avec Trap, nous sommes délestés définitivement de ces préoccupations morales jugées trop facilement obsolètes.

Dans un esprit similaire, on sait qu’en janvier dernier sortait, aux États-Unis, In a Violent Nature, un film d’épouvante évoquant la saga Vendredi 13, mais du point de vue du tueur. En 2012, déjà, le remake de Maniac proposait un film gore tourné en vue subjective du meurtrier. Le cinéma, décidément, n’en finit pas d’abattre les murs qui nous séparent de la pulsion animale. C’est à se demander quels besoins nous sommes en train de générer dans l’esprit du spectateur et vers quelle société nous voulons aller.

Candide, Shyamalan ne se pose pas ces questions. Son film est à l’image des autres, à consommer comme du pop-corn, en toute innocence…

3 étoiles sur 5 (pour le casting, l’humour diffus et le suspense en huis clos)

https://youtu.be/FekUfLLoEIU

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 17/08/2024 à 11:58.
Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Pour moi ,un vrai bon film me donne envie de le revoir ,quelques années plus tard
    Un chef d’œuvre se revoit inlassablement à intervalle suffisant
    Les films de ce monsieur m’amusent une fois et ressemblent ensuite à des jouets cassés

  2. Finie l’époque des films style « Touchez pas au Grisbi » où la morale était toujours sauve !! Les méchants ne profitaient jamais du magot mal acquit et la morale était toujours gagnante !! Mais c’était avant !!

  3. Guérir le mal par le mal n’est pas forcément une bonne solution, mais il y a des films que l’on peut ne pas voir sans le moindre regret.

  4. De plus, il est important de ne pas travestir la réalité.
    L’immoralité ou l’amoralité n’existe que pour les personnes qui créent cette situation.
    En l’occurrence quand on est voltarien,

  5. Tout semble fait pour que les valeurs héritées de nos ancêtres soient foulées au pied et que la nouvelle doctrine consiste à préférer le mal à la bonté. Nous entrons dans une ère de turbulences où le diable se sert des hommes pour anéantir notre monde. A nous de rappeler sans cesse que seul le bon doit triompher en étant de plus en plus exemplaire et en soulignant tous les travers qui nous entrainent à l’opposé.

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