Cinéma : Un triomphe, d’Emmanuel Courcol

kad merad

En 1985, en Suède, le comédien Jan Jönson avait monté, avec cinq détenus de la prison de haute sécurité de Kumla, la pièce de théâtre En attendant Godot, de Samuel Beckett. Une initiative qui déboucha sur une tournée dans plusieurs villes du pays et qui connut une issue cocasse. De cette anecdote, le cinéaste Emmanuel Courcol et son producteur Marc Bordure nous ont tiré une comédie sympathique et plutôt bien ficelée qui évite soigneusement les écueils du discours trop politisé ou misérabiliste.

Transposé dans la France contemporaine, Un triomphe nous raconte l’histoire d’Étienne, un comédien sans succès incarné par Kad Merad qui, pour joindre les deux bouts, anime un peu partout des ateliers théâtre, notamment dans ces entreprises et start-up qui, par hypocrisie managériale, cherchent à favoriser la cohésion de leurs équipes pour mieux affronter la concurrence économique.

Le jour où Étienne se voit offrir la possibilité d’animer un atelier en prison avec des détenus en fin de peine, il comprend vite le potentiel qu’il peut tirer de ses « acteurs ». Après quelques essais concluants, le comédien leur propose la pièce de Beckett et, dès lors, n’a de cesse de vouloir les pousser au meilleur d’eux-mêmes.

Qu’on se le dise, le pitch de départ n’est pas d’une originalité folle, Un triomphe nous rappelle, par sa construction et par l’évolution de son récit, toute une série de films qui ont fait de la transcendance individuelle par les arts collectifs, ou par le sport d’équipe, leur moteur : on pense, bien sûr, à The Full Monty, au Grand Bain, à L’Esquive, à Rasta Rocket, à Sister Act 2, aux Choristes ou encore au récent La Mélodie (2017) dans lequel Kad Merad occupait déjà le rôle principal, celui d’un prof de violon en collège décidé à emmener ses élèves de cité jouer à la Philharmonie de Paris.

Contrairement au film précité, Un triomphe ne verse pas dans le discours démagogique et dénégateur du réel qui consiste à voir en chacun un prodige ou une « chance pour la France ». Les prisonniers ne sont pas pensés comme les victimes collatérales d’une société injuste, il leur arrive même (et surtout) d’occuper la place du bourreau, comme nous le montre le personnage de Kamel, fiché au grand banditisme, qui contraint l’un de ses codétenus à se désister de la pièce pour lui prendre son rôle. Notons, au passage, que les raisons pour lesquelles ces hommes ont été incarcérés ne sont qu’à peine effleurées, le cinéaste estime sans doute que nous n’avons pas à nous appesantir dessus, que ce n’est pas le sujet. Un parti pris tout à fait respectable dans le principe bien qu’un peu facile. Peut-être craint-il – et ce serait compréhensible – une trop grande distanciation du spectateur avec ses personnages.

Enfin, si le film d’Emmanuel Courcol ne tombe pas dans le piège du militantisme anticarcéral, la légèreté de son récit ne relève pas moins de la méthode Coué, comme si le cinéaste cherchait à se rassurer sur l’état des prisons françaises et sur la possibilité de ramener la plupart de ces criminels – issus, pour une large part, de l’immigration extra-européenne – dans le giron de notre culture et de notre civilisation… Utopique.

Un triomphe, on l’aura compris, n’est rien d’autre qu’une jolie réussite. Une réussite un peu facile, un peu convenue, qui ne sort pas des clous, respecte les codes du genre et doit beaucoup à la dynamique de son groupe et à l’enthousiasme communicatif de ses comédiens. Parmi eux s’affirment, en particulier, Sofian Khammes en truand malicieux, charmant et manipulateur, et Pierre Lottin en jeune délinquant rigolard et paumé capable de réciter à toute allure trois pages de monologue avec une diction irréprochable. Kad Merad fait du Kad Merad, mais il le fait bien, sans fausse note. Le comédien prend, certes, moins de risques que dans La Mélodie, où son rôle se voulait à contre-emploi, mais le tandem qu’il forme avec Marina Hands, qui joue ici la directrice de prison, ne manque pas de charme.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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