[CINEMA]Sarah Bernhardt, un film indigent et vain…

© Affiche du film
© Affiche du film

Il est étonnant que le cinéma français ait attendu si longtemps pour produire un biopic sur Sarah Bernhardt. À l’heure où le moindre écrivain, le moindre chanteur ou couturier a droit à son film biographique, il était évident que l’une des plus grandes comédiennes françaises de la fin du XIXe siècle – encensée aussi bien par Victor Hugo que par Jean Cocteau – ferait, un jour, l’objet de tels honneurs. Demi-mondaine à peine assumée, indépendante et revêche, devenue sociétaire de la Comédie-Française, la « Divine » fut probablement la première « star » internationale digne de ce nom, connue sur pas moins de cinq continents.

De surcroît, féministe progressiste aux sympathies communardes et dreyfusardes, Sarah Bernhardt avait naturellement tout pour complaire à notre époque ; le film hagiographique que lui consacre aujourd’hui Guillaume Nicloux le confirme sans ambages.

Mondanités et gesticulations

Va-et-vient incessant – et pour le moins laborieux – entre les années 1896 et 1915, le récit de Sarah Bernhardt, la divine refuse à la fois le schéma classique qui consiste à retracer la totalité de la vie d’un artiste et celui qui se concentre sur un événement particulier de sa carrière. Le cul entre deux chaises, le cinéaste pioche un peu, par-ci par-là, passe à la loupe tel épisode et parvient, difficilement, à raccorder l’ensemble, si ce n’est grâce au fil rouge de la relation sentimentale qui lie Sarah Bernhardt à Lucien Guitry, père de Sacha Guitry. Dans le rôle-titre, Sandrine Kiberlain, à l’image des quatre acteurs de la Comédie-Française partageant l’affiche avec elle (Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Clément Hervieu-Léger et Sébastien Pouderoux), cabotine comme jamais, surjoue les frasques et les mondanités, et agace prodigieusement. Véritable pimbêche, insolente et mal élevée, que l’on aimerait volontiers souffleter, Sarah Bernhardt apparaît comme une diva égocentrique qui passe son temps à parader et à s’enivrer d’elle-même. Le film, en vérité, ne dit quasiment rien sur sa vie et ne se donne même pas la peine de la montrer sur scène (!), Nicloux préférant tout miser sur la personnalité antipathique de son héroïne – choix suicidaire…

Une esthétique déplorable

Beaucoup trop fasciné par la comédienne, qu’il panthéonise au point de faire d’elle l’improbable inspiratrice de Zola dans son combat contre les antidreyfusards (!), le réalisateur ne prend jamais de recul, au figuré comme au propre, puisqu’il emprisonne son visage dans des gros plans hystériques, avec l’air de croire naïvement que la vérité du personnage est toute comprise dans son regard – un comble, pour une comédienne qui croyait dur comme fer à l’importance de l’expression corporelle !

De tels choix de cadrage non seulement brident le jeu des acteurs, et réduisent considérablement la valeur picturale d’une œuvre qui aurait largement pu sublimer son époque, mais enferment le film dans un académisme télévisuel. Et ce ne sont pas les anachronismes divers et variés, dans les éléments de décor comme dans les répliques souvent trop modernes, qui rehausseront le niveau.
Pour ceux qui souhaitent réellement en apprendre davantage sur l’artiste, on conseille plutôt le documentaire Sarah Bernhardt - Pionnière du show-business, disponible sur le site d’Arte.

2 étoiles sur 5

Picture of Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Je n’ai pas vu le film, donc je ne prendrai pas parti, cependant, je pense qu’il eut été judicieux de la montrer jouant sur scène debout, en effet à partir de 1915 elle a dû jouer en étant assise. Car elle fut amputée de la jambe droite en 1915 à 71 ans, à Bordeaux à la clinique Saint Augustin par le Professeur Jean Henri Maurice Denucé célèbre chirurgien.

  2. J’ai lu avec beaucoup d’attention votre papier sur Sarah Bernhardt et je le trouve affligeant d’ignorance, je veux dire d’ignorance de ce qu’est le cinéma, de ce qu’est le théâtre. Etes-vous critique de films ou historien de la réalité, n’ayant goût que de documentaires ? Vous faites la même erreur qu’avec « Lermontov ». Pouvez-vous être capable de suspendre vos préconçus et voir un film en donnant congé à votre armature technico-idéologique qui fait fi de la sensibilité artiste intrinsèque à l’oeuvre ?
    Vous êtes vent debout contre ce qu’était Sarah Bernhardt, devenue par la mauvaise grâce de votre plume « une pimbêche à gifler ». Croyez-moi, moi qui ai travaillé sur elle, vous n’auriez pas pesé lourd et le vent d’un revers de main vous aurait balayé.
    Ce n’est pas elle qui s’énivre d’elle-même, comme vous le dites, mais vous, l’inconscient fulguré par quelques nausées. Elle a été dreyfusarde, oui, communarde, non, patriote, inténsément. A l’Odéon, le théâtre fut transformé en hôpital de campagne par elle, et par elle, les fonds de soutien aux blessus de la Grande Guerre affluèrent. C’était l’époque de la gauche respectable, celle de Clémenceau, d’Anatole France, de Zola, dont on sait maintenant que sa mort fut un assassinat dû à des nervis antisémites qui avaient obstrué sa cheminée. Elle, certes, convertie mais se déclarant « fille d’Israël », solidaire de son peuple. N’oubliez pas l’hommage que reçut Mgr Lustiger à Notre-Dame : le kaddish, récité en hébreu par les prêtres de sa paroisse.
    Revenons au cinéma stricto sensu, vous opposez l’expression corporelle au gros plan des visages, comme si l’un excluait l’autre, comme si le cinéma n’était pas l’art d’un montage, à l’instar d’une symphonie. Des « gros plans hystériques », écrivez-vous, des « va-et-vient » , manière péjorative de parler de flash-backs. Jamais vous n’avez écouté la musique du film, la réussite d’avoir ressuscité un climat, produit des personnages historiques si ressemblants : les deux Guitry, Zola, Rostand, comme Polansky pour son « Dreyfus » avait su le faire en allant les chercher au Théâtre. Ce théâtre du jeu des acteurs auquel, justement, le cinéma rend hommage, comme il rend hommage à la Divine, divinement interprêtée par Sandrine Kimberlain dont vous ignorez la performance, à coup sûr bientôt récompensée par un César.
    Le film que vous auriez tourné sur Sarah Bernhardt ? Il aurait eu la « platitude d’un trottoir de rue » (Flaubert)

  3. Merci pour vos analyses monsieur Marcellesi.
    Je n’ai pas vu le film mais j’ajouterai que la tendance actuelle de filmer systématiquement les personnages en gros plans est fatigante pour l’œil et nuit à la compréhension de la scène.

  4. J’ai écouté une ( ou plusieurs ) émissions sur Sarah Bernhardt ( sur RC ). La dame, talentueuse, était excentrique, généreuse, libre etc Dans la courte vidéo _ ci dessus_ les décors semblent pas mal. Maintenant, il peut y avoir hiatus, entre la vraie S. Bernhardt et le film, mais je pense que le public ( en général) ) connait assez peu la « vraie » comédienne, peintre, sculptrice.

  5. Merci à Pierre Marcellesi. C’est toujours un bonheur de le lire tant sa chronique relève d’une critique équilibrée, pointue et donne envie ou non de voir l’œuvre ou le spectacle qu’il décrit. Un œil acéré qui nous guide assurément dans les choix à faire, culturellement j’entends. C’est un journaliste en qui j’ai toute confiance. Une pointure ou une pépite en quelque sorte chez BV.

  6. Si la vraie Sarah Bernhardt avait été ne serait-ce que 10% aussi insupportable que cette version, elle aurait fini dans les poubelles de l’histoire, exactement là où ira ce « biopic ». Franchement, parler d’une artiste comme Sarah Bernhardt sans la montrer une seule fois sur scène, il fallait oser!

  7. Ce qu’on produit de nos jours est à la portée intellectuelle de l’enseignement de base qui est le résultat inculte d’un enseignement raté. Que ce soient les jhumoristes les écrivains les peintres ou sculpteurs nous n’arriverons pas à surpasser nos anciens , alors il nous faut choquer et surprendre pour intéresser le public et capter son attention. C’est ce qu’on appelle une fin de civilisation.

  8. Pour ceux qui souhaitent réellement en apprendre davantage sur Sarah Bernhardt, je me permets de conseiller plutôt la lecture de ses mémoires intitulés : « Ma double vie » qui s’arrêtent à l’année 1894 – premier voyage de Sarah en Amérique. Il ont au moins le mérite (1) de savoir de quoi ils parlent et (2) d’échapper au brainwashing politique qui infecte ce siècle dans tous les domaines.

Laisser un commentaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Un vert manteau de mosquées

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois