Claude Lelouch : un cinéaste libre à redécouvrir

Capture d'écran
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« Le cinéma, c’est mieux que la vie » : tel est le titre de ce volumineux ouvrage, en forme d’entretiens avec les experts en cinéphilie, Jean-Ollé Laprune et Yves Alion, retraçant une existence entièrement consacrée au septième art. La préface n’est pas exactement signée du premier venu, s’agissant de Woody Allen, pour qui Claude Lelouch fut le modèle de ses jeunes années : « Dans les années 60, quand tous mes copains aspirants metteurs en scène et moi-même chérissions le cinéma européen, certains films et certains cinéastes étaient, pour nous, tout en haut. Nous voulions faire des films comme les Italiens, comme Ingmar Bergman en Suède et, bien entendu, comme les auteurs français. Quand Un homme et une femme est sorti dans nos salles d’art et d’essai […] nous avons vu le film plusieurs fois […] jaloux du metteur en scène qui l’avait réalisé. »

« Auteurs » et « faiseurs »…

De cette « Nouvelle Vague », plus « vague que nouvelle », comme persiflait Michel Audiard, il est licite d’en penser du bien ou du mal. Il n’empêche qu’elle a révolutionné le cinéma français et, par voie de fait, son homologue américain. À l’époque, Hollywood tentait de singer le Vieux Continent ; o tempora o mores… L’une de ses marottes ? Sacraliser la fonction d'« auteur », pour mieux se moquer des « faiseurs ».

Le distinguo mérite qu’on s’y arrête. Un « auteur » est un « artiste » dont l’univers lui est propre. C’est le cas d’un Jean-Luc Godard, d’un Jean Rollin… ou d’un Claude Lelouch. En revanche, un « faiseur » demeure un « artisan » capable de passer d’un style à l’autre avec la même facilité, le même talent. Aux USA, il y a Richard Fleischer, capable de conjointement mettre en scène Vingt-mille lieues sous les mers (1954), l’une des meilleures adaptations de Jules Verne, et Soleil vert (1973), dystopie écologique des plus glaçantes. En France, Henri Verneuil, évidemment, dont le génie polymorphe lui permet de passer des aventures de Fernandel avec La Vache et le Prisonnier (1959) au Clan des Siciliens (1969), l’un des sommets du polar à la française, s’ébrouant avec la même facilité dans le western, tel qu’en témoigne cette Bataille de San Sebastian (1968), film de très haute volée, tourné la même année.

Claude Lelouch ? Un véritable « auteur » !

Seulement voilà, Claude Lelouch est un authentique « auteur », quoiqu’ayant toujours été dédaigné par la critique des beaux quartiers ; peut-être parce qu’il était avant tout un « auteur populaire ». En effet, dès les premières images, on sait qu’on est chez Lelouch. Il y a certes la musique, Francis Lai le plus souvent, mais aussi la manière de filmer, caméra à l’épaule, généralement. Et puis, les femmes, qu’il met à l’honneur avec passion, les magnifiant à l’écran comme s’il était au lit avec elles. Il est vrai qu’il fut un consommateur pour le moins frénétique de ses propres vedettes féminines. Le cinéma français savait, alors, être sensuel et pas d’actrices à cheveux gras et mine renfrognée, chez lui. Oui, en ce sens, Claude Lelouch est un auteur ; sans les guillemets d’usage. Et en préfaçant ce livre, Woody Allen, un autre « auteur », ne s'y est manifestement pas trompé.

Claude Lelouch a pourtant démarré comme « faiseur », sachant que c’est à lui qu’on doit les premiers vidéoclips, les « scopitones », disait-on alors, qui lui permettent de faire ses premières armes avec des beautés aussi juvéniles que Sheila, Sylvie Vartan et Dalida. Mais il est encore plus auteur à part entière en devenant le producteur de ses premiers films, n’attendant rien de l’argent du contribuable, estimant probablement qu’un « auteur » digne de ce nom ne saurait être subventionné. Certains de ses actuels confrères seraient bien inspirés d’en prendre de la graine.

Souvent à contre-courant de son époque…

C’est peut-être cette liberté qui lui a permis de tourner, hormis les films participant de ces bluettes sentimentales qu’il affectionne tant, ceux qui se situaient crânement à rebours de l’air du temps. Florilège.

L’Aventure, c’est l’aventure (1972). Mai 68 n’est pas loin ; soit, pour lui, l’occasion de dynamiter les idéologies à la mode : maoïsme mondain et luttes sociétales en devenir. Jacques Brel, Lino Ventura, Charles Denner, Charles Gérard et Aldo Maccione y forment un quintette épatant dont l’hilarant slogan n’est autre que « Vive la Suisse libre ! »

Le Bon et les Méchants (1975). Peut-être l’un des films les plus fins sur l’Occupation, une période qu’il a bien connue, lui l’enfant juif né en Algérie. Les bons peuvent s’y révéler méchants et les méchants pas toujours bons. Ou de la complexité élevée au rang des beaux-arts.

Les Uns et les Autres (1981). Toujours une histoire de destins croisés – sa marque de fabrique –, que cette gigantesque fresque évoquant, une fois de plus, les heures les moins lumineuses de notre Histoire. Amateurs de manichéisme, passez votre chemin.

Les Misérables (1995). Après avoir rendu sa dignité à Jean-Paul Belmondo avec Itinéraire d’un enfant gâté (1988), l’éloignant ainsi de « bébeleries » passablement à bout de souffle, voici encore une nouvelle relecture de la période plus haut évoquée ; mais vue au prisme hugolien. Là encore, tout n’est que grâce, intelligence et beauté. Pour lui, l’Histoire s’écrit en gris, même chez les salauds.

À propos de « salaud », un petit dernier, pour la route, avec Salaud, on t’aime (2014), avec Eddy Mitchell, Johnny Hallyday et une Sandrine Bonnaire qui jamais n’aura été aussi bien filmée. Une sorte de thriller savoyard sur fond d’amitié virile et de paternité contrariée. S’il n’y avait qu’un seul film de Claude Lelouch à redécouvrir, nul doute que ce serait celui-là.

Pour en savoir plus, la somme plus haut évoquée est chaleureusement indiquée. Pour les « lelouchiens » au premier chef ; mais aussi pour les autres, peut-être plus sceptiques quant à ce qu’il faut bien nommer une œuvre à part entière et qui, à la lecture de ces entretiens, pourraient bien être tentés de changer d’avis.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

2 commentaires

  1. J’ai vu son dernier film  » finalement », qui est absolument wokiste et nul, je me trompe?
    Les gens riches du showbiz s’ennuient pour pondre des trucs aussi insipides.
    C’est tellement mieux la vraie vie même si c’est pas facile tous les jours!

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