Claude Villers, président du Tribunal des flagrants délires, est mort

© Christian d'Aufin-Wikimédia
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C’est un parcours comme on n’en fait plus beaucoup et, même, comme on en a rarement fait. Encore un enfant d’un milieu simple, devenu célèbre et heureux à force de rêve et de volonté.

Le plus jeune journaliste de France

Claude Villers, né Claude Marx, était fils d’un ouvrier massicotier (maniant le massicot qui coupe le papier) et d’une dactylo – deux métiers désormais totalement disparus, par la discutable grâce de l’édition automatisée et de l’informatisation du monde. Claude Marx s’est enfui de chez lui et, comme l’Italien de la chanson de Reggiani, a fait tous les métiers, y compris catcheur de foire à 15 ans (« L’homme au masque de soie »), avant de devenir le plus jeune journaliste de France, à 17 ans et demi, en 1961.

Membre fondateur du Pop Club de José Artur (mythique et charmant générique des Parisiennes, puis variations amusantes de Lavilliers ou Gainsbourg notamment, à retrouver ici Les génériques du Pop Club de José Artur), Claude Villers était, de son propre aveu, un vagabond qui ne voulait pas s’ennuyer. Il abandonna systématiquement, au bout de quelques mois ou années, tous les projets qu’il avait contribué à lancer. En attendant, dans les années 1960, il cumule sa passion pour la musique de « jeunes » avec un job de correspondant de l’ORTF aux États-Unis, ce qui lui vaut notamment de couvrir le festival de Woodstock, la mort de Martin Luther King ou les premiers pas de l’homme sur la Lune vus d’outre-Atlantique.

Amoureux de la flânerie, il invente alors Marche ou rêve, sur France Inter, une émission de balade en plein air sur les chemins de France. La radio d’État, dans les années Giscard finissantes, lui fait également confiance pour la mise sur pied d’un petit miracle de radio. Le Tribunal des flagrants délires réunira autour de lui Luis Rego (échappé des Charlots) et le grand Pierre Desproges. Ce dernier rendra hommage à Claude Marx devenu Claude Villers à sa manière : « Claude Villers est un homme juste et bon, à qui je dois tant et qui m’a sorti de la médiocrité télévisuelle où je stagnais pour me plonger dans la nullité radiophonique où j’exulte. »

Entre 1980 et 1983, le tandem Desproges (procureur) - Rego (avocat « le plus bas d’Inter ») se paie toute la France célèbre des années 1980, sous le regard tendrement amusé de Villers, qui a le chic pour faire prendre cette improbable mayonnaise. Yannick Noah, Jacques Séguéla, Jean-Marie Le Pen, la jeune Dorothée, José Giovanni, Inès de La Fressange et tant d’autres viennent alors prendre leur dose de réquisitions injustes et de défense bancale.

Que pensait-il de Radio France ?

C’est probablement le point culminant, médiatiquement, de la carrière de ce touche-à-tout. « Sous la robe austère de la Justice », Villers, entouré de deux comiques féroces, jubile. Évidemment, comme la constance n’est pas son truc, le tribunal sera interrompu pendant une petite année (1981-1982). Claude Villers reste sur France Inter jusqu’en 2004. Sa dernière émission s’intitulait Je vous écris du plus lointain de mes rêves. Toujours le même thème onirique.

Installé en Dordogne, le journaliste historique du service public était hospitalisé depuis plusieurs mois. Que pensait-il de l’évolution de Radio France ? On ne sait pas. Évidemment, ses anciens employeurs lui rendent hommage sans la moindre vergogne, oubliant commodément qu’il y a, entre ce que fit Villers, avec ou sans Desproges, et ce que fait désormais Inter, avec ou sans Charline Vanhoenacker, une différence, non de degré mais de nature, qui s’appelle le talent.

On va bien rigoler, ce soir, au Paradis. Desproges attend son pote, mais pour une fois, ce n’est pas lui qui a écrit le réquisitoire. Villers va avoir tout le temps de flâner, au rythme des chemins du Ciel. Il est vrai que les rues de la Terre ne sont plus sûres.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/09/2024 à 16:33.
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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Claude Villers, Patrice Blanc-Francard, Bernard Lenoir, c’était « Pas de Panique » sur France Inter chaque soir de mon adolescence, avant le Pop Club de José Artur. L’indicatif, « Jessica », je crois, annonçait deux heures de détente, de rire et de bonne humeur. Que France Inter était fantastique à cette époque. Mon ami d’enfance et jumeau, Jean Morzadec, disparu trop tôt il y a trois ans, a fait ses premières armes radiophoniques dans cette équipe de joyeux lurons. Devant cette triste nouvelle que je découvre ce soir, je vais me mettre Jessica et rêver que j’ai dix-neuf ans…

  2. José Artur, Pierre Bouteiller, maintenant Claude Villers (ne pas oublier ses passionnantes émissions sur les trains !), en ce temps-là France Inter cultivait l’élégance, maintenant la radio-payée-par-les-contribuables donne dans le débraillé…

  3. Il est surprenant de constater la vitesse à laquelle la France est passée d’une liberté d’expression sans fard à une intolérance aveugle. Condoléances à sa famille et à ses proches. Puisse le ciel résonner de l’humour saint qui se tarit sur Terre.

  4. Je n’était pas du même coté sur l’échiquier politique , mais je n’hésite à regretter cet homme plein de talents qui m’a beaucoup fait rire et dont les propos n’étaient jamais méchants ni dégradants; beaucoup de ceux qui se veulent humoristes devraient en prendre de la graine

  5. Comment oublier Claude Villers quand a été un de ses auditeur assidu. Quand on a partagé ses voyages radiophonique, quand on a partagé ses flagrants délires. Comment ne pas regretter cette époque, malheureusement remplacée par l’idiotie et l’idéologie obscurantistes.

  6. Cette émission unique et fabuleuse nous a fait passer de très bons moments.Merci à lui que son âme repose en paix.

  7. Belle émission qui nous a fait tellement rire tous les jours. Ce genre de comiques raffinés nous manque tellement actuellement. C’est vrai qu’àujourd’hui , rechercher des gens d’esprit, c’est pas gagné.

  8. Claude Villers, José Artur, quelle belle époque ! Rien à voir,comme vous l’avez souligné, avec les petits rigolos de la bande à Charline. Le talent, on l’a ou on ne l’a pas.

  9. Citer l’insupportable Charline Vanhoenacker dans un article hommage dédié à Claude Villers….. Quel manque de délicatesse!

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