Commémorer les violences de Mai 1968 et condamner celles de novembre 2018 ?
L’être humain est ainsi fait qu’il est souvent la somme de ses propres contradictions ; ce qui, d’ailleurs, fait son charme. En revanche, il est des incohérences qui peuvent laisser perplexe. Ainsi, en 2018, une certaine France officielle a-t-elle fêté le cinquantenaire de 1968. Et c’est la même qui, condamnant les violences de ces derniers jours, a précisément célébré celles remontant à un demi-siècle. Là, déjà, il y avait des voitures brûlées, des barricades, des policiers molestés, des vitrines défoncées et des émeutiers exigeant tout et son contraire puisque, « réalistes », ils « demandaient l’impossible ».
Tout ce folklore est désormais muséifié. Les affiches issues des trublions ayant fait leurs études aux beaux-arts grâce à l’argent du contribuable s’arrachent à prix d’or dans les salles de vente les plus cossues de la capitale, avant d’orner les lofts bourgeois : délicieux frisson rétrospectif de la France d’en haut. Dany le rouge, devenu notable en vue, a même été l’un des premiers soutiens d’Emmanuel Macron. Faudra-t-il attendre cinquante autres années pour que les gilets jaunes soient exposés au Centre Beaubourg ?
Il est vrai que les soixante-huitards étaient tous plus ou moins enfants de privilégiés, à l’inverse des actuels révoltés. Pour remonter plus loin dans l’Histoire de France, on constatera encore que les « valeurs républicaines » dont on nous rebat constamment les oreilles reposent sur une autre émeute : celle de la prise de la Bastille, un certain 14 juillet 1789. Bilan des opérations ? Une centaine de manifestants tués et six gardiens de prison lynchés par une foule en furie, dont le gouverneur de Launay, auquel il avait pourtant été promis qu’il ne serait fait aucun mal à ses hommes, suisses et allemands pour la plupart ; à ne pas confondre avec les « Juifs allemands » du joli moi de mai.
On en conclura donc qu’il existe de « bonnes » et de « mauvaises » insurrections, des violences qui se justifient et d’autres non, celles de l’actuel tiers état étant à classer au rang des secondes. Dans Marianne, Caroline Fourest s’interroge : "Il n’existe plus rien entre l’État et l’individu, sauf le vide. Les corps intermédiaires ne sont plus. Les groupes Facebook et Cyril Hanouna ont remplacé les partis et les médiateurs." Comme quoi l’esprit peut venir à tout un chacun.
Là, on remarquera encore que si la Révolution française avait aussi pour but de supprimer les corps intermédiaires – les corporations, ces syndicats de l’époque, au premier titre –, leurs successeurs de Mai 68 ne souhaitaient pas fondamentalement autre chose, ayant en ligne de mire d’autres institutions tout aussi intermédiaires telles que les notables ou les mandarins universitaires.
En ce sens, Emmanuel Macron n’est pas le mieux placé pour déplorer un vide qu’il a contribué à créer, un fossé entre gouvernants et gouvernés qu’il n’a pas été le dernier à agrandir. En Marche !, le mouvement qui l’a amené au pouvoir ? Un décalque du Désirs d’avenir de Ségolène Royal. Soit un parti qui en refuse la dénomination, plus horizontal que vertical, sans hiérarchie définie, fonctionnant sur le principe d’une démocratie participative dont les aspirations, venues de la base, aboutissent plus à un programme fourre-tout qu’à un véritable programme commun. Un peu comme celui des gilets jaunes, somme toute.
Quant aux partis politiques traditionnels, dont certains journalistes condamnent actuellement le silence, c’est encore et toujours Emmanuel Macron qui, l’année dernière, les a proprement dynamités durant sa campagne présidentielle. Républicains et socialistes sont aux abonnés absents et, même dans les Pages jaunes®, impossible de trouver un numéro de téléphone pour éventuellement les contacter. Idem pour des syndicats qu’il a contribué à abaisser, alors qu’ils n’étaient déjà guère vaillants.
Bref, Emmanuel Macron est, aujourd’hui, d’autant plus seul qu’il a soigneusement organisé sa propre solitude. Dans un palais élyséen en forme de Bastille ?
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