Comment philosopher quand on est confiné

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Suite à la propagation du virus Covid-19, le confinement généralisé a été prôné par le Président Macron (le 16 mars), ceci plongeant la société française dans un état d’enfermement digne de celui subi naguère par des aïeux de la première moitié du XXe siècle. Du choléra à la grippe espagnole, le monde européen a tremblé. Un tremblement dont on croyait qu’il ne resterait plus aucune trace à tout jamais. Mais, arrogance du temps présent oblige, le passé finit toujours par nous rattraper. Ainsi, dans une situation d’enfermement forcé, il n’est pas inutile de se reposer sur le ciment de l’identité culturelle du Vieux Continent : la philosophie.

Que la période de confinement dure trois semaines à trois mois, beaucoup d’esprits auront du mal à tenir en place entre quatre murs. D’abord les enfants et les adolescents. Puis que dire du niveau d’exaspération des bipolaires ou de celui des toxicomanes ? Ou bien de la détresse des êtres battus par un mari ou un parent ? Épictète, esclave grec de Rome ayant vécu entre 50 et 130, nous avertit d’une chose essentielle : celle de faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend point. « Supporte et abstiens-toi », avait-il prononcé. Il s’agissait également de fustiger les beaux parleurs d’Athènes, sophistes et rhéteurs de pacotille : « Que d’autres s’adonnent à la pratique des problèmes, des syllogismes. Toi, exerce-toi à supporter la mort, la prison, la torture, l’exil. » Parce que le logos ne protège pas toujours du chaos.

L’humilité face aux événements qu’on ne peut maîtriser, et qui ne sont nullement de notre faute, doit amener à penser qu’« il vaut mieux changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde ». Car « il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ». Dans la même verve, un très lointain disciple répondant au nom d’Arthur Schopenhauer a affirmé que « l’essentiel pour le bonheur de la vie c’est ce que l’on a en soi-même ». Une thèse qui a du sens, a minima, pour ceux qui pratiquent l’ascèse, tant celle des théologiens du judéo-christianisme que celle des Extrême-Orientaux d’autrefois. Mais comment demander un tel effort intellectuel à une masse hyperconsumériste pour qui, in fine, « il n’y a jamais d’autre critère que l’intensification de la vie », selon Gilles Deleuze ? Avoir pour être, encore et encore… Il n’est donc pas étonnant d’assister à des scènes de pillage et de bagarre. De fait, le confinement est culturel ou n’est pas. En d’autres termes, les Français, dans leur identité méditerranéenne – si ce n’est africaine, aujourd’hui –, sont-ils prêts à rester enfermés chez eux durant des semaines ?

Après quoi, on peut parier sur « la force de l’oubli », mise en perspective par Friedrich Nietzsche dans la Deuxième dissertation de La Généalogie de la morale. En substance, l’homme, avant de devenir ce qu’il est, n’était qu’un animal oublieux. Un inconscient collectif, en quelque sorte, qui déterminera certainement de vieilles habitudes : par exemple, hurler dans la rue après avoir trop bu sur une terrasse de café. En attendant, il faudra se contenter des films de Canal+® (passé en clair) au mieux, et du télétravail au pire. En définitive, tenter de méditer pour ne pas imploser. « Dans certains cas, continuer, seulement continuer, voilà ce qui est surhumain », avait écrit Albert Camus dans La Chute.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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